Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/362

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faces, d’après les types qu’il avoit sous les yeux. Il n’a point étudié l’humanité comme une abstraction : c’est l’être ondoyant et divers de Montaigne, dont il dessine la figure sous mille aspects et avec un admirable talent ; car ce n’est point un grand moraliste, seulement, que la Bruyère : c’est un écrivain de premier ordre. Il n’y a pas, dans notre langue, d’œuvre d’art plus travaillée, et qui soit supérieure à la sienne. Les auteurs des Portraits du Luxembourg étoient bien loin d’une vue si profonde et d’une telle ambition littéraire. Ils étoient surtout bien éloignés de l’intention satirique, qu’on saisit quelquefois dans la Bruyère, et qui servit si bien à la fortune de son livre.

De ces divers Caractères, de tous ces Portraits, tracés par des gens du grand monde, avec l’allure alerte, et la plume facile de la haute société du temps, il ressort cependant quelque trait général de la physionomie de l’époque. Chacun alors avoit le monde devant soi, vouloit en être considéré, et en suivoit les pratiques, comme la règle suprême des actions. Ces pratiques autorisoient à vivre selon son goût, à jouir de toutes ses facultés, à donner à sa pensée un libre champ ; mais elles commandoient de respecter un certain ordre de convenances. La philosophie étoit la science à la mode. L’abbesse de Fontevrault, sœur de Mme de Montespan, lisoit bien plus Platon que son missel ; et l’abbesse de Malnoue, sœur de Mme de Chevreuse, avoit passé, avec Huet, par tous les états de l’esprit. De la morale religieuse, le monde des Divers portraits sembloit moins s’en inquiéter que de la morale du siècle. Ni Bossuet, ni Bour-