Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/414

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disent. S’agit-il de raisonner de la reconnoissance d’un bienfait ? mille gens raffinent sur les discours de Sénèque. Est-il question de s’acquitter envers le bienfaiteur ? personne n’avoue franchement la dette, et ne convient du prix du bienfait. Celui qui a donné grossit les objets ; celui qui a reçu, les diminue. Le monde est plein de fanfarons et d’hypocrites en amitié…

Cependant il est certain que l’amitié est un commerce ; le trafic en doit être honnête : mais enfin c’est un trafic2. Celui qui y a mis le plus,



l’auteur a marqué qu’il ne s’y reconnoissoit plus, et que Des Maizeaux l’a retranchée des œuvres authentiques de Saint-Évremond (il suffit de la lire, en effet, pour juger des altérations qui ont dû s’y glisser) ; cependant, puisque Saint-Évremond n’a pas voulu se donner la peine de la refaire, j’ai cru devoir la reproduire ici, honorée qu’elle a été d’ailleurs du suffrage d’un juge tel que M. Cousin, Madame de Sablé, chap. iii. Mais, en la reportant à 1647, il faudrait tenir Saint-Évremond pour créateur, plutôt que pour imitateur, du genre de littérature dans lequel La Rochefoucauld a excellé. Des Maizeaux, si bien instruit et si exact, est, à l’égard de cette date, une grande autorité. La date est, du reste, indiquée par Saint-Evremond lui-même, infra, p. 19 et 25.

2. Les personnes qui ont étudié la langue du dix-septième siècle, et qui connoissent la controverse, agitée parmi les moralistes de ce temps, et dans le grand monde des salons, au sujet de la nature de l’amitié : si c’est une vertu ou un échange ; ne seront pas étonnées de voir un esprit délicat, comme Saint-Évremond, employer le mot trafic, pour indiquer l’échange, le commerce, et la réciprocité des affections. Voy. M. Cousin, Madame de Sablé, p. 115 et suiv. Il est évident que La Rochefoucauld