Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/520

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que je trouve, de nous aux autres, dans ce tour qui distingue les nations, c’est qu’à parler véritablement nous nous le faisons nous-mêmes, et la nature l’imprime en eux, comme un caractère dont ils ne se défont presque jamais.

Je n’ai guère connu que deux personnes, en ma vie, qui pussent bien réussir partout, mais diversement. L’un, avoit toute sorte d’agréments : il en avoit pour les gens ordinaires, pour les gens singuliers, pour les bizarres même ; et il sembloit avoir, dans son naturel, de quoi plaire à tous les hommes. L’autre, avoit tant de belles qualités, qu’il pouvoit s’assurer d’avoir de l’approbation, dans tous les lieux où l’on fait quelque cas de la vertu. Le premier, étoit insinuant, et ne manquoit jamais de s’attirer les inclinations. Le second, avoit quelque fierté, mais on ne pouvoit pas lui refuser son estime. Pour achever cette différence : on se rendoit avec plaisir aux insinuations de celui-là, et on avoit quelquefois du chagrin de ne pouvoir résister à l’impression du mérite de celui-ci. J’ai eu avec tous les deux une amitié fort étroite ; et je puis dire que je n’ai jamais rien vu en l’un que d’agréable, et rien en l’autre que l’on ne dût estimer7.



7. Il est probable que Saint-Évremond veut désigner ici le comte de Grammont, et le maréchal de Créqui lui-même : ce furent ses deux meilleurs amis.