Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/104

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S’il y en a eu qui aient gagné plus de combats, et pris un plus grand nombre de villes, ils n’ont pas défait Annibal, ni réduit Carthage. S’ils ont su commander aux autres, comme lui, ils n’ont pas su se commander à eux-mêmes, et se posséder également dans l’agitation des affaires et dans le repos d’une vie privée. Je laisse à disputer s’il a été le plus grand : mais si j’ose dire ce que Tite-Live n’a fait qu’insinuer, à tout prendre, ç’a été celui qui a valu le mieux. Il a eu la vertu des vieux Romains, mais cultivée et polie ; il a eu la science et la capacité des derniers, sans aucun mélange de corruption.

Il faut avouer pourtant que ses actions ont été plus avantageuses à la république, que ses vertus : le peuple romain les goûta trop, et se détacha des obligations du devoir, pour suivre les engagements de la volonté.

L’humanité de Scipion ne laissa pas de produire de méchants effets, avec le temps : apprenant aux généraux à se faire aimer. Comme les choses dégénèrent toujours, un commandement agréable fut suivi d’une indigne complaisance ; et, quand les vertus manquoient, pour gagner l’estime et l’amitié, on employoit tous les moyens qui pouvoient corrompre. Voilà les suites fâcheuses de cet esprit particulier : noble et glorieux dans les commencements, mais qui