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Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/302

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pour les bien dépeindre ; et pour y réussir mieux, il éloigne son esprit de tout ce qu’il voit en usage, tâche à se défaire du goût de son temps, renonce à son propre naturel, s’il est opposé à celui des personnes qu’on représente : car les morts ne sauraient entrer en ce que nous sommes, mais la raison, qui est de tous les temps, nous peut faire entrer en ce qu’ils ont été.

Un des grands défauts de notre nation, c’est de ramener tout à elle, jusqu’à nommer étrangers, dans leur propre pays, ceux qui n’ont pas bien, ou son air, ou ses manières. De là vient qu’on nous reproche justement de ne savoir estimer les choses que par le rapport qu’elles ont avec nous, dont Corneille a fait une injuste et fâcheuse expérience, dans sa Sophonisbe. Mairet, qui avoit dépeint la sienne infidèle au vieux Syphax, et amoureuse du jeune et victorieux Massinisse, plut quasi généralement à tout le monde, pour avoir rencontré le goût des dames et le vrai esprit des gens de la cour. Mais Corneille, qui fait mieux parler les Grecs que les Grecs, les Romains que les Romains, les Carthaginois que les citoyens de Carthage ne parloient eux-mêmes ; Corneille, qui, presque seul, a le bon goût de l’antiquité, a eu le malheur de ne plaire pas à notre siècle, pour être entré dans le génie de ces nations, et avoir