Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/357

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son entendement et de son cœur. C’est ce qui arriva au pauvre Nicias, qui perdit l’armée des Athéniens, et se perdit lui-même, par la crédule et superstitieuse opinion qu’il eut du courroux des dieux. Il n’en est pas ainsi du grand Alexandre. Il se croyoit fils de Jupiter, pour entreprendre des choses plus extraordinaires. Scipion, qui feint ou qui pense avoir un commerce avec les dieux, en tire avantage pour relever sa république, et pour abattre celle des Carthaginois. Faut-il que le fils de Vénus, assuré par Jupiter de son bonheur et de sa gloire future, n’ait de piété que pour craindre les dangers, et pour se défier du succès de toutes les entreprises ? Segrais, là-dessus, défend une cause qui lui fait de la peine ; et il a tant d’affection pour son héros, qu’il aime mieux ne pas exprimer le sens de Virgile dans toute sa force, que de découvrir nettement les frayeurs honteuses du pauvre Énée.

Extemplo Æneæ solvuntur frigore membra ;
Ingemit, et duplices tendens ad sidera palmas,
Talia voce refert : O terque quaterque beati,
Queis ante ora patrum, Trojæ sub mœnibus altis,
Contigit oppetere ![1]

  1. Virgile, Æneid., lib. I, v. 96-100. Voici la traduction de Segrais :

    Énée en est surpris ; il lève au ciel les yeux,
    Et déplore en ces mots son sort injurieux :