Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/47

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La grandeur d’une République, admirée de tout le monde, en a fait admirer le fondateur, sans examiner beaucoup ses actions. Tout ce qui paroît extraordinaire paroît grand, si le succès est heureux : comme tout ce qui est grand paroît fou, quand l’événement est contraire. Il faudroit avoir été de son siècle, et même l’avoir pratiqué, pour savoir s’il fit mourir ses enfants, par le mouvement d’une vertu héroïque, ou par la dureté d’une humeur farouche et dénaturée.

Je croirois, pour moi, qu’il y a eu beaucoup de dessein, en sa conduite. La profonde dissimulation dont il usa, sous le règne de Tarquin, me le persuade, aussi bien que son adresse à faire chasser Collatin du consulat. Il peut bien être que les sentiments de la liberté lui firent oublier ceux de la nature. Il peut être, aussi, que sa propre sûreté prévalut sur toutes choses ; et que, dans ce dur et triste choix de se perdre ou de perdre les siens, un intérêt si pressant l’emporta sur le salut de sa famille. Qui sait si l’ambition ne s’y trouva pas mêlée ? Collatin se ruina, pour favoriser ses neveux. Celui-ci se rendit maître du public, par la punition rigoureuse de ses enfants. Ce qu’on peut dire de fort assuré, c’est qu’il avoit quelque chose de farouche : c’étoit le génie du temps. Un naturel aussi sauvage que libre produisit