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Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/531

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Les bien-aimés, les heureux successeurs,
Doivent jouir, et perdre leurs douceurs.
Une paisible et longue jouissance
Fait les dégoûts, et détruit la constance ;
Car s’attacher toujours au même bien,
C’est posséder, et ne sentir plus rien.
Ainsi, Philis, il faut être inconstante :
Vous passerez pour une vieille amante,
En prévenant cette triste saison
Où la constance est jointe à la raison.
Moins de chagrins en de si longs ménages,
A fait souvent rompre des mariages ;
Et votre esprit, mille fois dégoûté,
Se pique encor de sa fidélité ?
Avoir toujours son âme accoutumée
Aux vieux plaisirs dont elle fut charmée ;
Avoir toujours les mêmes sentiments ;
Toujours sentir les mêmes mouvements ;
Vivre toujours sans dessein, sans envie,
C’est être morte au milieu de la vie :
Laissez toucher votre inclination ;
Cherchez ailleurs quelque autre passion.
Quoi ! vous parlez en Corisque6 savante,
Et vous aimez en bergère innocente !
Si vous aimiez, comme une Amaryllis,
D’un jeune amant les roses et les lis,
J’approuverois que votre âme blessée
Gardât toujours cette chère pensée ;
Mais vous n’aimez que certaine langueur



6. Personnage du Pastor fido de Guarini ; voy. acte III, sc. v., et les Secoli de Corniani, t. VI, p. 182 (1829).