Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/99

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soutenir, disposoit les esprits à des attachements particuliers qu’on se voulut faire.

L’amour de la patrie, le zèle du bien public, s’étoient épuisés au fort de la guerre contre Annibal, où l’affection et la vertu des citoyens avoient été au delà de ce que la république en pouvoit attendre. On avoit donné son bien et son sang pour le public, qui n’étoit pas en état de faire trouver aucune douceur aux particuliers. La dureté même du sénat avoit augmenté celle des lois, en quelques occasions, et la rigueur qu’on avoit tenue aux prisonniers de la bataille de Cannes avoit touché le monde : mais on avoit souffert patiemment, dans un temps où l’on croyoit endurer tout par un intérêt commun. Sitôt qu’on eût moins à craindre, on crut que la nécessité de souffrir étoit finie ; et chacun ayant perdu la docilité et la patience, avant la fin de ses maux, on supportoit avec peine ce qu’on s’imaginoit endurer sans besoin, par la seule volonté des magistrats.

C’est ainsi proprement que se formèrent les premiers dégoûts ; d’où il arriva que les hommes revenus de la république à eux-mêmes, cherchoient de nouveaux engagements dans la société, et regardoient parmi eux à choisir des sujets qui méritassent leurs affections.

Dans cette disposition des esprits, Scipion