Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/582

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près produire une si grande quantité de mouvements d’une manière si conspirante, on n’en peut pas rendre raison, et comme il n’est pas raisonnable de recourir à Dieu dans le détail, on a recours au vaisseau, quoique en effet, dans la dernière analyse, le consentement de tous les phénomènes des différentes substances ne vienne que de ce qu’elles sont toutes des productions d’une même cause, savoir de Dieu ; qui fait que chaque substance individuelle exprime la résolution que Dieu a prise il l’égard de tout l’univers. C’est donc par la même raison qu’on attribue les douleurs aux mouvements des corps, parce qu’on peut par là venir à quelque chose de distinct. Et cela sert à nous procurer des phénomènes ou à les empêcher. Cependant, à ne rien avancer sans nécessité, nous ne faisons que penser, et aussi nous ne nous procurons que des pensées, et les phénomènes ne sont que des pensées. Mais comme toutes nos pensées ne sont pas efficaces, et ne servent pas à nous en procurer d’autres d’une certaine nature, et qu’il nous est impossible de déchiffrer le mystère de la connexion universelle des phénomènes, il faut prendre garde, par le moyen de l’expérience, à celles qui nous en procurent autres fois, et c’est en quoi consiste l’usage des sens et ce qu’on appelle l’action hors de nous.

L’hypothèse de la concomitance ou de l’accord des substances entre elles suit de ce que j’ai dit que chaque substance individuelle enveloppe pour toujours tous les accidents qui lui arriveront, et exprime tout l’univers à sa manière ; ainsi ce qui est exprimé dans le corps par un mouvement ou changement de situation est peut-être exprimé dans l’âme par une douleur. Puisque les douleurs ne sont que des pensées, il ne faut pas s’étonner si elles sont des suites d’une substance dont la nature est de penser. Et, s’il arrive constamment que certaines pensées sont jointes à certains mouvements, c’est parce que Dieu a créé d’abord toutes les substances, en sorte que dans la suite tous leurs phénomènes s’entre-répondent, sans qu’il leur faille pour cela une influence physique mutuelle, qui ne parait pas même explicable ; peut-être que M.  Descartes était plutôt pour cette concomitance que pour l’hypothèse des causes occasionnelles, car il ne s’est point expliqué la-dessus que je sache.

J’admire ce que vous remarquez, Monsieur, que saint Augustin a déjà eu de telles vues, en soutenant que la douleur n’est autre chose qu’une tristesse de l’âme qu’elle a de ce que son corps est mal disposé. Ce grand homme a assurément pénétré bien avant dans les