Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/583

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choses. Cependant l’âme sent que son corps est mal disposé, non pas par une influence du corps sur l’âme, ni par une opération particulière de Dieu qui l’en avertisse, mais parce que c’est la nature de l’âme d’exprimer ce qui se passe dans les corps, étant créée d’abord, en sorte que la suite de ses pensées s’accorde avec la suite des mouvements. On peut dire la même chose du mouvement de mon bras de bas en haut. On demande ce qui détermine les esprits à entrer dans les nerfs d’une certaine matière, je réponds que c’est tant l’impression des objets que la disposition des esprits et nerfs mêmes, en vertu des lois ordinaires du mouvement. Mais, par la concordance générale des choses, toute cette disposition n’arrive jamais que lorsqu’il y a en même temps dans l’âme cette volonté à laquelle nous avons coutume d’attribuer l’opération. Ainsi les âmes ne changent rien dans l’ordre des corps, ni les corps dans celui des âmes. (Et c’est pour cela que les formes ne doivent point être employées à expliquer les phénomènes de la nature.) Et une âme ne change rien dans le cours des pensées d’une autre âme. Et, en général, une substance particulière n’a point d’influence physique sur l’autre ; aussi serait-elle inutile, puisque chaque substance est un être accompli, qui se suffit lui-même il déterminer en vertu de sa propre nature tout ce qui lui doit arriver. Cependant on a beaucoup de raison de dire que ma volonté est la cause de ce mouvement du bras, et qu’une solutio continui dans la matière de mon corps est cause de la douleur ; car l’un exprime distinctement ce que l’autre exprime plus confusément, et on doit attribuer l’action à la substance dont l’expression est plus distincte. D’autant que cela suffit[1] à la pratique pour se procurer des phénomènes. Si elle n’est pas cause physique, on peut dire qu’elle est cause finale, ou pour mieux dire exemplaire, c’est-il-dire que son idée dans l’entendement de Dieu a contribué à la résolution de Dieu à l’égard de cette particularité, lorsqu’il s’agissait de résoudre la suite universelle des choses.

L’autre difficulté est sans comparaison plus grande, touchant les formes substantielles et les âmes des corps ; et j’avoue que je ne m’y satisfais point. Premièrement, il faudrait être assuré que les corps sont des substances et non pas seulement des phénomènes véritables comme l’arc-en-ciel. Mais, cela posé, je crois qu’on peut inférer que la substance corporelle ne consiste pas dans l’étendue

  1. Grotefend et Gehrardt donnent : soit, ce qui n’a aucun sens.