Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/584

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ou dans la divisibilité ; car on m’avouera que deux corps éloignés l’un de l’autre, par exemple deux triangles, ne sont pas réellement une substance ; supposons maintenant qu’ils s’approchent pour composer un carré, le seul attouchement les fera-t-il devenir une substance ? Je ne le pense pas. Or, chaque masse étendue peut être considérée comme composée de deux ou mille autres ; il n’y a que l’étendue par un attouchement. Ainsi on ne trouvera jamais un corps dont on puisse dire que c’est véritablement une substance. Ce sera toujours un agrégé de plusieurs. Ou plutôt, ce ne sera pas un être réel, puisque les parties qui le composent sont sujettes En la même difficulté, et qu’on ne vient jamais à aucun être réel, les êtres par agrégation n’ayant qu’autant de réalité qu’il y en a dans leurs ingrédients. D’où il s’ensuit que la substance d’un corps, s’ils en ont une, doit être indivisible ; qu’on l’appelle âme on forme, cela m’est indifférent. Mais aussi la notion générale de la substance individuelle, que vous semblez assez goûter, Monsieur, prouve la même chose. L’étendue est un attribut qui ne saurait constituer un être accompli, on n’en saurait tirer aucune action ni changement, elle exprime seulement un état présent, mais nullement le futur et le passé, comme doit faire la notion d’une substance. Quand deux triangles se trouvent joints, on n’en saurait conclure comment cette jonction s’est faite. Car cela peut être arrivé de plusieurs façons, mais tout ce qui peut avoir plusieurs causes n’est jamais un être accompli. Cependant j’avoue qu’il est bien difficile de résoudre plusieurs questions dont vous faites mention. Je crois qu’il faut dire que, si les corps ont des formes substantielles, par exemple, si les bêtes ont des âmes, que ces âmes sont indivisibles. C’est aussi le sentiment de saint Thomas. Ces âmes sont donc indestructibles ? Je l’avoue, et comme il se peut que selon les sentiments de M.  Leeuwenhoeck toute génération d’un animal ne soit qu’une transformation d’un animal déjà vivant, il y a lieu de croire aussi que la mort n’est qu’une autre transformation. Mais l’âme de l’homme est quelque chose de plus divin, elle n’est pas seulement indestructible, mais elle se connaît toujours et demeure conscia sui. Et quant à son origine, on peut dire que Dieu ne l’a produite que lorsque ce corps animé qui est dans la semence se détermine à prendre la forme humaine. Cette âme brute, qui animait auparavant ce corps avant la transformation, est annihilée, lorsque l’âme raisonnable prend sa place, ou si Dieu change l’une dans l’autre, en donnant à la première une nou-