Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/600

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas son indestructibilité, on ne voit pas aussi qu’à proprement parler elle lui communique ni sa vraie unité, ni son indivisibilité. Car, pour être uni à notre âme, il n’en est pas moins vrai que ses parties ne sont unies entre elles que machinalement, et qu’ainsi ce n’est pas une seule substance corporelle, mais un agrégé de plusieurs substances corporelles. Il n’en est pas moins vrai qu’il est aussi divisible que tous les autres corps de la nature. Or, la divisibilité est contraire à la vraie unité. Il n’a donc point de vraie unité. Mais il en a, dites-vous, par notre âme. C’est-à-dire qu’il appartient à une âme qui est vraiment une, ce qui n’est point une unité intrinsèque au corps, mais semblable à celle de diverses provinces qui, n’étant gouvernées que par un seul roi, ne font qu’un royaume.

Cependant, quoiqu’il soit vrai qu’il n’y ait de vraie unité que dans les natures intelligentes dont chacune peut dire moi, il y a néanmoins divers degrés dans cette unité impropre qui convient au corps. Car, quoiqu’il n’y ait point de corps pris à part qui ne soit plusieurs substances, il y a néanmoins raison d’attribuer plus d’unité à ceux dont les parties conspirent à un même dessein, comme est une maison ou une montre, qu’à ceux dont les parties sont seulement proches les unes des autres, comme un tas de pierres, un sac de pistoles, et ce n’est proprement que de ces derniers qu’on doit appeler des agrégés par accident. Presque tous les corps de la nature que nous appelons un, comme un morceau d’or, une étoile, une planète, sont du premier genre ; mais il n’y en a point en qui cela paraisse davantage que les corps organisés, c’est-à-dire les animaux et les plantes, sans avoir besoin pour cela de leur donner des âmes. (Et il me parait même que vous n’en donnez pas aux plantes.) Car pourquoi un cheval ou un oranger ne pourront-ils pas être considérés chacun comme un ouvrage complet et accompli, aussi bien qu’une église ou une montre ? Qu’importe pour être appelé un (de cette unité qui, pour convenir au corps, a dû être différente de celle qui convient à la nature spirituelle), de ce que leurs parties ne sont unies entre elles que machinalement, et qu’ainsi ce sont des machines ? N’est-ce pas la plus grande perfection qu’ils puissent avoir d’être des machines si admirables qu’il n’y a qu’un Dieu tout-puissant qui les puisse avoir faites ? Notre corps, considéré seul, est donc un en cette manière. Et le rapport qu’il a [avec] une nature intelligente qui lui est unie et qui le gouverne, lui peut encore ajou-