Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/599

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point de vraie unité, comme vous l’avouez de tous ceux qui ne sont point joints à une âme ou à une forme substantielle.

Mais je ne sais, Monsieur, ce qui vous porte à croire qu’il y a dans les brutes de ces âmes ou formes substantielles, qui doivent être selon vous indivisibles, indestructibles et ingénérables. Ce n’est pas que vous jugiez cela nécessaire pour expliquer ce qu’elles font. Car vous dites expressément « que tous les phénomènes des corps peuvent être expliqués machinalement ou par la philosophie corpusculaire suivant certains principes de mécanique posés, sans qu’on se mette en peine s’il y a des âmes ou non ». Ce n’est pas aussi par la nécessité qu’il y a que les corps des brutes aient une vraie unité, et que ce ne soient pas seulement des machines ou des agrégés des substances. Car toutes les plantes pouvant n’être que cela, quelle nécessité pourrait-il y avoir que les brutes fussent autre chose ? On ne voit pas de plus que cette opinion se puisse facilement soutenir en mettant ces âmes indivisibles et indestructibles. Car que répondre aux vers qui, étant partagés en deux, chaque partie se meut comme auparavant ? Si le feu prenait à une des maisons où on nourrit des cent mille vers à soie, que deviendraient ces cent mille âmes indestructibles ? Subsisteraient-elles séparées de toute matière comme nos âmes ? Que devinrent de même les âmes de ces millions de grenouilles que Moïse fit mourir, quand il fit cesser cette plaie, et de ce nombre innombrable de cailles que tuèrent les israélites dans le désert, et de tous les animaux qui périrent par le déluge ? Il y a encore d’autres embarras sur la manière dont ces âmes se trouvent dans chaque brute à mesure qu’elles sont conçues. Est-ce qu’elles étaient in seminibus ? Y étaient-elles indivisibles et indestructibles ? Quid ergo fit, cum irrita cadunt sine ullis conceptibus semina ? Quid cum bruta, mascula ad fœminas non accedunt toto vitæ suæ tempore ? Il suffit d’avoir fait entrevoir ces difficultés.

Il ne reste plus qu’à parler de l’unité que donne l’âme raisonnable. On demeure d’accord qu’elle a une vraie et parfaite unité et un vrai moi, et qu’elle communique en quelque sorte cette unité et ce moi à ce tout composé de l’âme et du corps qui s’appelle l’homme. Car, quoique ce tout ne soit pas indestructible, puisqu’il périt quand l’âme est séparée du corps ; il est indivisible en ce sens qu’on ne saurait concevoir la moitié d’un homme. Mais en considérant le corps séparément, comme notre âme ne lui communique