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nouveaux essais sur l’entendement

récompenses après cette vie. Je tombe d’accord que ce sont là des vérités évidentes et d’une telle nature qu’étant bien expliquées, une créature raisonnable ne peut guère éviter d’y donner son consentement. Mais nos amis disent qu’il s’en faut beaucoup que ce soient autant d’impressions innées. Et, si ces cinq propositions sont des notions communes, gravées dans nos âmes par le doigt de Dieu, il y en a beaucoup d’autres qu’on doit aussi mettre de ce rang.

Th. J’en demeure d’accord, Monsieur, car je prends toutes les vérités nécessaires pour innées, et j’y joins même les instincts. Mais je vous avoue que ces cinq propositions ne sont point des principes innés ; car je tiens qu’on peut et qu’on doit les prouver.

§ 18. Ph. Dans la proposition troisième, que la vertu est le culte le plus agréable à Dieu, il est obscur ce qu’on entend par la vertu. Si on l’entend dans le sens qu’on lui donne le plus communément, je veux dire de ce qui passe pour louable selon les différentes opinions, qui règnent en divers pays, tant s’en faut que cette proposition soit évidente, qu’elle n’est pas même véritable. Que si on appelle vertu les actions qui sont conformes à la volonté de Dieu, ce sera presque idem per idem, et la proposition ne nous apprendra pas grand chose, car elle voudra dire seulement que Dieu a pour agréable ce qui est conforme à sa volonté. Il en est de même de la notion du péché dans la quatrième proposition.

Th. Je ne me souviens pas d’avoir remarqué qu’on prenne communément la vertu pour quelque chose qui dépende des opinions ; au moins les philosophes ne le font pas. Il est vrai que le nom de vertu dépend de l’opinion de ceux qui le donnent à de différentes habitudes ou actions, selon qu’ils jugent bien ou mal et font usage de leur raison ; mais tous conviennent assez de la notion de la vertu en général, quoiqu’ils diffèrent dans l’application. Selon Aristote et plusieurs autres, la vertu est une habitude de modérer les passions par la raison, et encore plus simplement une habitude d’agir suivant la raison. Et cela ne peut manquer d’être agréable à celui qui est la suprême et dernière raison des choses, à qui rien n’est indifférent, et les actions des créatures raisonnables moins que toutes les autres.

§ 20. Ph. On a coutume de dire que les coutumes, l’éducation et les opinions générales de ceux avec qui on converse peuvent obscurcir ces principes de morale, qu’on suppose innés. Mais, si cette réponse est bonne, elle anéantit la preuve qu’on prétend tirer du