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des notions innées

Ph. Il faut donc que les idées d’un Dieu et d’une vie à venir soient aussi innées.

Th. J’en demeure d’accord dans le sens que j’ai expliqué.

Ph. Mais ces idées sont si éloignées d’être gravées naturellement dans l’esprit de tous les hommes qu’elles ne paraissent pas même fort claires et fort distinctes dans l’esprit de plusieurs hommes d’étude et qui font profession d’examiner les choses avec quelque exactitude ; tant il s’en faut qu’elles soient connues de toute créature humaine.

Th. C’est encore revenir à la même supposition, qui prétend que ce qui n’est point connu n’est point inné, que j’ai pourtant réfutée tant de fois. Ce qui est inné n’est pas d’abord connu clairement et distinctement pour cela, il faut souvent beaucoup d’attention et d’ordre pour s’en apercevoir ; les gens d’étude n’en apportent pas toujours, et toute créature humaine encore moins.

§ 13. Ph. Mais, si les hommes peuvent ignorer ou révoquer en doute ce qui est inné, c’est en vain qu’on nous parle de principes innés et qu’on en prétend faire voir la nécessité ; bien loin qu’ils puissent servir à nous instruire de la vérité et de la certitude des choses, comme on le prétend, nous nous trouverions dans le même état d’incertitude avec ces principes que s’ils n’étaient point en nous.

Th. On ne peut point révoquer en doute tous les principes innés. Vous en êtes demeuré d’accord, Monsieur, à l’égard des identiques ou du principe de contradiction, avouant qu’il y a des principes incontestables, quoique vous ne les reconnaissiez point alors comme innés, mais il ne s’ensuit point que tout ce qui est inné et lié nécessairement avec ces principes innés soit aussi d’abord d’une, évidence indubitable.

Ph. Personne n’a encore entrepris, que je sache, de nous donner un catalogue exact de ces principes.

Th. Mais nous a-t-on donné jusqu’ici un catalogue plein et exact des axiomes de géométrie ?

§ 15. Ph. Mylord Herbert[1] a voulu marquer quelques-uns de ces principes qui sont : 1° qu’il y a un Dieu suprême ; 2° qu’il doit être servi ; 3° que la vertu jointe avec la piété est le meilleur culte ; 4° qu’il faut se repentir de ses péchés ; 5° qu’il y a des peines et des

  1. Herbert de Cherbury (1581-1648), De veritate (Paris, 1648).