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nouveaux essais sur l’entendement

gués dans le cerveau, comme il arrive à ceux qui ont peu d’expérience, les pensées de l’âme (suivant l’ordre des choses) ne sauraient être non plus distinctes. Cependant l’âme n’est jamais privée du secours de la sensation, parce qu’elle exprime toujours son corps, et ce corps est toujours frappé par les ambians d’une infinité de manières, mais qui souvent ne font qu’une impression confuse.

§ 18. Ph. Mais voici encore une autre question que fait l’auteur de l’Essai. Je voudrais bien, dit-il, que ceux qui soutiennent avec tant de confiance que l’âme de l’homme, ou (ce qui est la même chose) que l’homme pense toujours, me disent comment ils le savent.

Th. Je ne sais pas s’il ne faut pas plus de confiance pour nier qu’il se passe quelque chose dans l’âme, dont nous ne nous apercevions pas ; car ce qui est remarquable doit être composé de parties qui ne le sont pas, rien ne saurait naître tout d’un coup, la pensée non plus que le mouvement. Enfin, c’est comme si quelqu’un demandait aujourd’hui comment nous connaissons les corpuscules insensibles.

§ 19. Ph. Je ne me souviens pas que ceux qui nous disent que l’âme pense toujours, nous disent jamais que l’homme pense toujours.

Th. Je m’imagine que c’est parce qu’ils l’entendent aussi de l’âme séparée. Cependant ils avoueront volontiers que l’homme pense toujours durant l’union. Pour moi, qui ai des raisons pour tenir que l’âme n’est jamais séparée de tout corps, je crois qu’on peut dire absolument que l’homme pense et pensera toujours.

Ph. Dire que le corps est étendu sans avoir des parties, et qu’une chose pense sans s’apercevoir qu’elle pense, ce sont deux assertions qui paraissent également inintelligibles.

Th. Pardonnez-moi, Monsieur, je suis obligé de vous dire que, lorsque vous avancez qu’il n’y a rien dans l’âme dont elle ne s’aperçoive, c’est une pétition de principe qui a déjà régné par toute notre première conférence, où l’on a voulu s’en servir pour détruire les idées et les vérités innées. Si nous accordions ce principe, outre que nous croirions choquer l’expérience et la raison, nous renoncerions sans raison à notre sentiment, que je crois avoir rendu assez intelligible. Mais, outre que nos adversaires, tout habiles qu’ils sont, n’ont point apporté de preuve de ce qu’ils avancent si souvent et si positivement là-dessus, il est aisé de leur montrer le contraire, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible que nous réfléchissions toujours expressément sur toutes nos pensées ; autrement l’esprit ferait réflexion sur chaque réflexion à l’infini sans pouvoir jamais passer à