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nouveaux essais sur l’entendement

Aristote a déjà remarqué que pour appeler les actions libres ; il faut non seulement qu’elles soient spontanées, mais encore qu’elles soient délibérées[1].

Ph. C’est pourquoi nous regardons le mouvement ou le repos des balles, sous l’idée d’une chose nécessaire.

Th. L’appellation de nécessaire demande autant de circonspection que celle de libre. Cette vérité conditionnelle, savoir : « Supposé que la balle soit en mouvement dans un horizon uni sans empêchement, elle continuera le même mouvement » peut passer pour nécessaire en quelque manière, quoique dans le fond cette conséquence ne soit pas entièrement géométrique, n’étant que présomptive pour ainsi dire et fondée sur la sagesse de Dieu, qui ne change pas son influence sans quelque raison qu’on présume ne se point trouver présentement. Mais cette proposition absolue : « La balle que voici est maintenant en mouvement dans ce plan » n’est qu’une vérité contingente, et en ce sens, la balle est un agent contingent non libre.

§ 10. Ph. Supposons qu’on porte un homme pendant qu’il est dans un profond sommeil dans une chambre où il y ait une personne qu’il lui tarde de voir et d’entrevoir et que l’on ferme à clef la porte sur lui ; cet homme s’éveille et est charmé de se trouver avec cette personne et demeure ainsi dans la chambre avec plaisir. Je ne pense pas qu’on s’avise de douter qu’il ne reste volontairement dans ce lieu-là. Cependant, il n’est pas en liberté d’en sortir s’il veut, Ainsi la liberté n’est pas une idée qui appartienne à la volition.

Th. Je trouve cet exemple fort bien choisi pour marquer qu’en un sens une action ou un état peut être volontaire sans être libre. Cependant, quand les philosophes et les théologiens disputent sur le libre arbitre, ils ont tout un autre sens en vue.

§ 11. Ph. La liberté manque, lorsque la paralysie empêche que les jambes n’obéissent à la détermination de l’esprit, quoique, dans le paralytique même, ce puisse être une chose volontaire de demeurer assis, tandis qu’il préfère d’être assis à changer de place. Volontaire n’est donc pas opposé à nécessaire, mais à involontaire.

Th. Cette justesse d’expression me reviendrait assez, mais l’usage

  1. Voy. Éthique à Nicomaque, I. III, ch. iii.