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nouveaux essais sur l’entendement

Th. Je crois que c’est avec raison, le lieu n’étant qu’un ordre des coexistants.

Ph. Il ne faut que réfléchir sur la séparation de l’âme et du corps par la mort, pour être convaincu du mouvement de l’âme.

Th. L’âme pourrait cesser d’opérer dans ce corps visible ; et si elle pouvait cesser de penser tout à fait, comme l’auteur l’a soutenu ci-dessus, elle pourrait être séparée du corps pour être unie à un autre ; ainsi sa séparation serait sans mouvement. Mais, pour moi, je crois qu’elle pense et sent toujours, qu’elle est toujours unie à quelque corps, et même qu’elle ne quitte jamais entièrement et tout d’un coup le corps où elle est unie.

§ 21. Ph. Que si quelqu’un dit que les esprits ne sont pas in loco sed in aliquo ubi, je ne crois pas que maintenant on fasse beaucoup de fond sur cette façon de parler. Mais, si quelqu’un s’imagine qu’elle peut recevoir un sens raisonnable, je le prie de l’exprimer en langage commun intelligible, et d’en tirer après une raison qui montre que les esprits ne sont pas capables de mouvement.

Th. Les écoles sont trois sortes d’ubiété ou de manières d’exister quelque part. La première s’appelle circonscriptive, qu’on attribue aux corps qui sont dans l’espace, qui y sont punctatim, en sorte qu’ils sont mesurés selon qu’on peut assigner des points de la chose située, répondant aux points de l’espace. La seconde est la définitive où l’on peut définir, c’est-à-dire déterminer que la chose située est dans tel ou tel espace, sans pouvoir assigner des points précis ou des lieux propres exclusivement à ce qui y est : c’est ainsi que l’on a jugé que l’âme est dans le corps, ne croyant point qu’il soit possible d’assigner un point précis où soit l’âme ou quelque chose de l’âme, sans qu’elle soit aussi dans quelque autre point. Encore beaucoup d’habiles gens en jugent ainsi. Il est vrai que M. Descartes a voulu donner des bornes plus étroites à l’âme en la logeant proprement dans la glande pinéale[1]. Néanmoins il n’a point osé dire qu’elle est privativement dans un certain point de cette glande ; ce qui n’étant point, il ne gagne rien, et c’est la même chose à cet

  1. Traité des passions, 1re partie, § 31. « Il me semble avoir évidemment reconnu que la partie du corps en laquelle l’âme exerce immédiatement ses fonctions, n’est nullement le cœur, ni aussi le cerveau, mais seulement la plus intérieure de ses parties, qui est une certaine glande fort petite, située dans le milieu de sa substance, et tellement suspendue au-dessus du conduit par lequel les esprits de ses cavités antérieures ont communication avec ceux de la postérieure, que les moindres mouvements qui sont en elle peuvent beaucoup pour changer le cours de ces esprits et réciproquement, »