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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/219

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des idées

forger un monde imaginaire, où les corps en usassent de même. Cependant nous laissons pas de distinguer un rayon de l’autre par le train même de leur passage, lors même qu’ils se croisent.

Ph. Ce qu’on nomme principe d’individuation dans les écoles où l’on se tourmente si fort pour savoir ce que c’est, consiste dans l’existence même qui fixe chaque être à un temps particulier et à un lieu incommunicable à deux êtres de la même espèce.

Th. Le principe d’individuation revient dans les individus au principe de distinction dont je viens de parler. Si deux individus étaient parfaitement semblables et égaux, et (en un mot) indistinguables par eux-mêmes, il n’y aurait point de principe d’individuation ; et même j’ose dire qu’il n’y aurait point de distinction individuelle ou de différents individus à cette condition. C’est pourquoi la notion des atomes est chimérique et ne vient que des conceptions incomplètes des hommes. Car, s’il y avait des atomes, c’est-à-dire des corps parfaitement durs et parfaitement inaltérables ou incapables de changement interne et ne pouvant diférer entre eux que de grandeur et de figure, il est manifeste qu’étant possible qu’ils soient de même figure et grandeur, il y en aurait alors d’indistinguables en soi, et qui ne pourraient être discernés que par des dénominations extérieures sans fondement interne, ce qui est contre les plus grands principes de la raison. Mais la vérité est que tout corps est altérable et même altéré toujours actuellement, en sorte qu’il diffère en lui-même de tout autre. Je me souviens qu’une grande princesse, qui est d’un esprit sublime, dit un jour, en se promenant dans son jardin, qu’elle ne croyait pas qu’il y ait deux feuilles parfaitement semblables. Un gentilhomme d’esprit, qui était de la promenade, crut qu’il serait facile d’en trouver ; mais, quoiqu’il en cherchât beaucoup, il fut convaincu par ses yeux qu’on pouvait toujours y remarquer de la différence. On voit par ces considérations, négligées jusqu’ici, combien dans la philosophie on s’est éloigné des notions les plus naturelles, et combien on a été éloigné des grands principes de la vraie métaphysique.

§ 4. Ph. Ce qui constitue l’unité (identité) d’une même plante, est d’avoir une telle organisation de parties dans un seul corps, qui participe à une commune vie ; ce qui dure pendant que la plante subsiste quoiqu’elle change de parties.

Th. L’organisation ou transfiguration sans un principe de vie subsistant, que j’appelle monade, ne suffirait pas pour faire demeurer