prouver comment il n’est pas possible que ce qui n’a jamais été réellement puisse être représente à l’esprit comme ayant été véritablement.
Th. Un souvenir de quelque intervalle peut tromper ; on l’expérimente souvent, et il y a moyen de concevoir une cause naturelle de cette erreur. Mais le souvenir présent on immédiat, ou le souvenir de ce qui se passait immédiatement auparavant, c’est-à-dire la conscience ou la réflexion, qui accompagne l’action interne, ne saurait tromper naturellement ; autrement, on ne serait pas même certain qu’on pense à telle ou à telle chose, car ce n’est aussi que de l’action passée qu’on le dit en soi, et non pas de l’action même qui le dit. Or, si les expériences internes immédiates ne sont point certaines, il n’y aura point de vérité de fait dont on puisse être assuré. Et j’ai déjà dit qu’il peut y avoir de la raison intelligible de l’erreur qui se commet dans les perceptions médiates et externes, mais dans les immédiates internes on n’en saurait trouver, à moins de recourir à la toute-puissance de Dieu.
§ 14. Ph. Quant à la question si, la même substance immatérielle restant, il peut y avoir deux personnes distinctes, voici sur quoi elle est fondée. C’est, si le même être immatériel peut être dépouillé de tout sentiment de son existence passée et le perdre entièrement, sans pouvoir jamais le recouvrer, de sorte que, commençant pour ainsi dire un nouveau compte depuis une nouvelle période, il ait une conscience qui ne puisse s’étendre au delà de ce nouvel état. Tous ceux qui croient la préexistence des âmes sont visiblement dans cette pensée. J’ai vu un homme qui était persuadé que son âme avait été l’âme de Socrate ; et je puis assurer que dans le poste qu’il a rempli et qui n’était pas de petite importance, il a passé pour un homme fort raisonnable, et il a paru, par ses ouvrages qui ont vu le jour, qu’il ne manquait ni d’esprit ni de savoir. Or, les âmes étant indifférentes à l’égard de quelque portion de matière que ce soit, autant que nous le pouvons connaître par leur nature, cette supposition (d’une même âme passant en différents corps) ne renferme aucune absurdité apparente. Cependant celui qui, à présent, n’a aucun sentiment de quoi que ce soit que Nestor ou Socrate ait jamais fait ou pensé, conçoit-il ou peut-il concevoir qu’il soit la même personne que Nestor ou Socrate ? Peut-il prendre part aux actions de ces deux anciens Grecs ? peut-il se les attribuer ou penser qu’elles soient plutôt ses propres actions que celles de