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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/294

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nouveaux essais sur l’entendement

prits ou génies, comme je tiens que toutes les intelligences créées ont des corps organisés, dont la perfection répond à celle de l’intelligence ou de l’esprit qui est dans ce corps en vertu de l’harmonie préétablie, je tiens que pour concevoir quelque chose des perfections des esprits au-dessus de nous, il servira beaucoup de se figurer des perfections encore dans les organes du corps qui passent celles du nôtre. C’est où l’imagination la plus vive et la plus riche, et pour me servir d’un terme italien que je ne saurais bien exprimer autrement, l’invenzione la piu voga sera le plus de saison pour nous élever au-dessus de nous. Et ce que j’ai dit pour justifier mon système de l’harmonie qui exalte les perfections divines au delà de ce qu’on s’était avisé de penser, servira aussi à avoir des idées des créatures incomparablement plus grandes qu’on n’en a eu jusqu’ici.

§ 14. Ph. Pour revenir au peu de réalité des espèces même dans les substances, je vous demande si l’eau et la glace sont de différente espèce ?

Th. Je vous demande à mon tour si l’or fondu dans le creuset et l’or refroidi en lingot sont d’une même espèce ?

Ph. Celui-là ne répond pas à la question qui en propose une autre,

Qui litem lite resolvit.

Cependant vous reconnaîtrez par là que la réduction des choses en espèces se rapporte uniquement aux idées que nous en avons, ce qui suffit pour les distinguer par des noms ; mais, si nous supposons que cette distinction est fondée sur leur constitution réelle et intérieure et que la nature distingue les choses qui existent en autant d’espèces par leurs essences réelles de la même manière que nous les distinguons nous-mêmes en espèces par telles ou telles dénominations, nous serons sujets à de grands mécomptes.

Th. Il y a quelque ambiguïté dans le terme d’espèce ou d’être de différente espèce, qui cause tous ces embarras, et, quand nous l’aurons levée, il n’y aura plus de contestation que peut-être sur le nom. On peut prendre l’espèce mathématiquement et physiquement. Dans la rigueur mathématique, la moindre différence qui fait que deux choses ne sont point semblables en tout, fait qu’elles diffèrent d’espèce. C’est ainsi qu’en géométrie tous les cercles sont d’une même espèce, car ils sont tous semblables parfaitement, et par là