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des mots

ce qu’il contestait cette qualité de forme substantielle à l’âme et niait que l’homme fût unum per se, un être doué d’une véritable unité. Quelques-uns croient que cet excellent homme l’a fait par politique. J’en doute un peu, parce que je crois qu’il avait raison en cela. Mais on n’en a point de donner ce privilège à l’homme seul, comme si la nature était faite à bâtons rompus. Il y a lieu de juger qu’il y a une infinité d’âmes ou, pour parler plus généralement, d’entéléchies primitives, qui ont quelque chose d’analogique avec la perception et l’appétit, et qu’elles sont toutes et demeurent toujours des formes substantielles des corps. Il est vrai qu’il y a apparemment des espèces qui ne sont pas véritablement unum per se (c’est-à-dire des corps doués d’une véritable unité, ou d’un être indivisible qui en fasse le principe actif total), non plus qu’un moulin ou une montre le pourraient être. Les sels, les minéraux et les métaux pourraient être de cette nature, c’est-à-dire de simples contextures ou masses où il y a quelque régularité. Mais les corps des uns et des autres, c’est-à-dire les corps animés aussi bien que les contextures sans vie, seront spécifiés par la structure intérieure, puisque dans ceux-là mêmes qui sont animés, l’âme et la machine, chacune à part, suffisent à la détermination ; car elles s’accordent parfaitement, et, quoiqu’elles n’aient point d’influence immédiate l’une sur l’autre, elles s’expriment mutuellement, l’une ayant concentré dans une parfaite unité tout ce que l’autre a dispersé dans la multitude. Ainsi, quand il s’agit de l’arrangement des espèces, il est inutile de disputer des formes substantielles, quoiqu’il soit bon pour d’autres raisons de connaître s’il y en a et comment ; car sans cela on sera étranger dans le monde intellectuel. Au reste, les Grecs et les Arabes ont parlé de ces formes aussi bien que les Européens, et, si le vulgaire n’en parle point, il ne parle pas non plus ni d’algèbre ni d’incommensurables.

§ 25. Ph. Les langues ont été formées avant les sciences, et le peuple ignorant et sans lettres à réduit les choses à certaines espèces.

Th. Il est vrai, mais les personnes qui étudient les matières rectifient les notions populaires. Les essayeurs ont trouvé des moyens exacts de discerner et séparer les métaux ; les botanistes ont enrichi


    se brouilla avec lui à l’occasion d’une thèse où il avait soutenu que l’homme est un être par accident, c’est-à-dire que l’âme et le corps ne formaient point une unité substantielle. C’est à cette thèse que Leibniz fait allusion dans le passage ci-dessus.