Aller au contenu

Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
des mots

que la tradition des anciens conservée par l’écriture, et généralement les observations d’autrui peuvent servir. C’est pourquoi j’ai toujours fort estimé des médecins versés encore dans la connaissance de l’antiquité ; et j’ai été bien fâché que Reinesius[1], excellent dans l’un et l’autre genre, s’était tourné plutôt à éclaircir les rites et histoires des anciens, qu’à rétablir une partie de la connaissance qu’ils avaient de la nature, où il a fait voir qu’il aurait encore pu réussir à merveille. Quand les Latins, les Grecs, les Hébreux et les Arabes seront épuisés un jour, les Chinois, pourvus encore d’anciens livres, se mettront sur les rangs et fourniront de la matière à la curiosité de nos critiques. Sans parler de quelques vieux livres des Persans, des Arméniens, des Coptes et des Bramines, qu’on déterrera avec le temps, pour ne négliger aucune lumière que l’antiquité pourrait donner par la tradition des doctrines et par l’histoire des faits. Et, quand il n’y aurait plus de livre ancien à examiner, les langues tiendront lieu de livres, et ce sont les plus anciens monuments du genre humain. On enregistrera avec le temps et mettra en dictionnaires et en grammaires toutes les langues de l’univers, et en les comparera entre elles[2] ; ce qui aura des usages très grands tant pour la connaissance des choses, puisque les noms souvent répondent à leurs propriétés (comme l’on voit par la dénomination des plantes chez de différents peuples) que pour la connaissance de notre esprit et de la merveilleuse variété de ses opérations. Sans parler de l’origine des peuples[3], qu’on connaîtra par le moyen des étymologies solides que la comparaison des langues fournira le mieux. Mais c’est de quoi j’ai déjà parlé. Et tout cela fait voir l’utilité et l’étendue de la critique, peu considérée par quelques philosophes très habiles d’ailleurs qui s’émancipent de parler avec mépris du rabbinage et généralement de la philologie. L’on voit aussi que les critiques trouveront encore longtemps matière de s’exercer avec fruit, et qu’ils feraient bien de ne se pas trop amuser aux minuties, puisqu’ils ont tant d’objets plus revenants à traiter ; quoique je sache bien qu’encore les minuties sont nécessaires bien souvent chez les

  1. Reinesius Thomas, médecin célèbre, né à Gotha, 1547, mort in Leipzig 1647. Son principal ouvrage est intitulé Chimiâtrie, ce qui nous apprend qu’il appartient à l’école chimiâtrique de Sylvius. Il a laissé beaucoup d’ouvrages d’érudition.
  2. Voilà exprimé avec une admirable précision le principe de la philologie comparée.
  3. Nouvelle vue vérifiée par les faits.