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nouveaux essais sur l’entendement

forgé des chimères sur des mots mal entendus de ce philosophe, qui peut-être aussi a donné trop l’occasion quelquefois à ces méprises et au galimatias. Mais on ne doit pas tant exagérer les défauts de cet auteur célèbre, parce qu’on sait que plusieurs de ces ouvrages n’ont pas été achevés, ni publiés par lui-même.

§ 17. Ph. Le cinquième abus est ne mettre les mots à la place des choses qu’ils ne signifient, ni ne peuvent signifier en aucune manière. C’est lorsque par les noms des substances nous voudrions dire quelque chose de plus que ceci : ce que j’appelle or est malléable (quoique dans le fond l’or alors ne signifie autre chose que ce qui est malléable), prétendant faire entendre que la malléabilité dépend de l’essence réelle de l’or. Ainsi nous disons que c’est bien définir l’homme avec Aristote par l’animal raisonnable ; et que c’est le mal définir avec Platon par un animal à deux pieds sans plumes et avec de larges ongles. § 18. À peine se trouve-t-il une personne qui ne suppose que ces mots signifient une chose qui a l’essence réelle dont dépendent ces propriétés ; cependant c’est un abus visible, cela n’étant point renfermé dans l’idée complexe signifiée par ce mot.

Th. Et moi je croirais plutôt qu’il est visible qu’on a tort de blâmer cet usage commun, puisqu’il est très vrai que dans l’idée complexe de l’or est renfermé que c’est une chose qui a une essence réelle dont la constitution ne nous est pas autrement connue au détail que de ce qu’en dépendent des qualités telles que la malléabilité. Mais, pour en énoncer la malléabilité sans identité et sans le défaut de coccysme ou de répétition (voyez chap. vii, § 18), on doit reconnaître cette chose par d’autres qualités, comme si l’on disait qu’un certain corps fusible, jaune et très pesant, qu’on appelle or, a une nature qui lui donne encore la qualité d’être fort doux au marteau et de pouvoir être rendu extrêmement mince. Pour ce qui est de la définition de l’homme qu’on attribue à Platon, qu’il ne paraît avoir fabriquée que par exercice, et que vous-même ne voudriez, je crois, comparer sérieusement à celle qui est reçue, il est manifeste qu’elle est un peu trop externe et trop provisionnelle ; car, si ce cassiovaris, dont vous parliez dernièrement, Monsieur (chap. vi, § 34), s’était trouvé avoir de larges ongles, le voilà qui serait homme ; car on n’aurait point besoin de lui arracher les plumes comme à ce coq que Diogène, à ce qu’on dit, voulait faire devenir homme platonique.

§ 19. Ph. Dans les modes composés, dès qu’une idée, qui y entre, est changée, on reconnaît aussitôt que c’est autre chose, comme il