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de la connaissance

que cette expérience particulière lui a fait trouver la vérité générale ; mais ceux qui connaissent la pénétration de ce grand homme, voient bien qu’il n’avait pas besoin d’un tel secours. Cependant, quand cette voie empirique des vérités particulières aurait été l’occasion de toutes les découvertes, elle n’aurait pas été suffisante pour les donner ; et les inventeurs mêmes ont été ravis de remarquer les maximes et les vérités générales quand ils ont pu les atteindre ; autrement leurs inventions auraient été fort imparfaites. Tout ce qu’on peut donc attribuer aux écoles et aux professeurs, c’est d’avoir recueilli et rangé les maximes et les autres vérités générales : et plût à Dieu qu’on l’eût fait encore davantage et avec plus de soin et de choix, les sciences ne se trouveraient pas si dissipées et si embrouillées. Au reste, j’avoue qu’il y a souvent de la différence entre la méthode dont on se sert pour enseigner les sciences et celle qui les a fait trouver : mais ce n’est pas le point dont il s’agit. Quelquefois, comme j’ai déjà observé, le hasard a donné occasion aux inventions. Si l’on avait remarqué ces occasions et en avait conservé la mémoire à la postérité (ce qui aurait été fort utile), ce détail aurait été une partie très considérable de l’histoire des arts, mais il n’aurait pas été propre à en faire les systèmes. Quelquefois aussi les inventeurs ont procédé raisonnablement à la vérité, mais par de grands circuits. Je trouve qu’en des rencontres d’importance, les auteurs auraient rendu service au public s’ils avaient voulu marquer sincèrement dans leurs écrits les traces de leurs essais ; mais, si le système de la science devait être fabriqué sur ce pied-là, ce serait comme si dans une maison achevée l’on voulait garder tout l’appareil dont l’architecte a eu besoin pour l’élever. Les bonnes méthodes d’enseigner sont toutes telles que la science aurait pu être trouvée certainement par leur chemin ; et alors, si elles ne sont pas empiriques, c’est-à-dire si les vérités sont enseignées par des raisons ou par des preuves tirées des idées, ce sera toujours par axiomes, théorèmes, canons et autres telles propositions générales. Autre chose est, quand les vérités sont des aphorismes, comme ceux d’Hippocrate[1], c’est-à-dire des vérités de fait ou générales, ou du moins vraies le plus souvent, apprises par l’observation ou fondées en expériences, et dont on n’a pas des raisons tout à fait convaincantes.

  1. Hippocrate (460-375), nommé le Père de la Médecine. Ses œuvres complètes avec traduction française ont été publiées par Littré (Paris, 1839-1861), 10 vol. in-8o). P. J.