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de la connaissance

aurait besoin d’être tout refondu. Pour ce qui est de l’avantage de celui qui parle le dernier, il n’a presque lieu que dans les conversations libres, car, dans les conseils, les suffrages ou votes sont par ordre, soit qu’on commence ou qu’on finisse par le dernier en rang. Il est vrai que c’est ordinairement au président de commencer et de finir, c’est-à-dire de proposer et de conclure ; mais il conclut selon la pluralité des voix. Et dans les disputes académiques, c’est le répondant ou le soutenant qui parle le dernier, et le champ de bataille lui demeure presque toujours par une coutume établie. Il s’agit de le tenter, et non pas de le confondre ; autrement ce serait agir en ennemi. Et, pour dire le vrai, il n’est presque point question de la vérité dans ces rencontres ; aussi soutient-on en différents temps des thèses opposées dans la même chaire. On montra à Causabon [1] la salle de la Sorbonne, et on lui dit : Voici un lieu où l’on a disputé durant tant de siècles. Il répondit : Qu’y a-t-on conclu ?

Ph. On a pourtant voulu empêcher que la dispute n’allât à l’infini, et l’aire qu’il y eût moyen de décider entre deux combattants également experts, afin qu’elle n’engageât dans une suite infinie de syllogismes. Et ce moyen a été d’introduire certaines propositions générales, la plupart évidentes par elles-mêmes, et qui, étant de nature à être reçues de tous les hommes avec un entier consentement, devaient être considérées comme des mesures générales de la vérité et tenir lieu de principes (lorsque les disputant n’en avaient posé d’autres) au delà desquels on ne pouvait point aller cet auxquels on serait obligé de tenir de part et d’autre. Ainsi ces maximes ayant reçu le nom de principes qu’on ne pouvait point nier dans la dispute et qui terminaient la question, on les prit par erreur (selon mon auteur) pour la source des connaissances et pour les fondements des sciences.

Th. Plût à Dieu qu’on en usât de la sorte dans les disputes, il n’y aurait rien à redire ; car on déciderait quelque chose. Et que pourrait-on faire de meilleur que de réduire la controverse, c’est-à-dire les vérités contestées, à des vérités évidentes et incontestables ? ne serait-ce pas les établir d’une manière démonstrative ? Et qui peut douter que ces principes qui finiraient les disputes en établissant la vérité ne seraient en même temps les sources des connaissances ?

  1. Casaubon (Isaac), illustre érudit du xvie siècle, né à Bourdeaux, dans le Dauphiné, en 1559, mort à Londres en 1614. On a de lui des lettres. Casauboni Epistolæ, dont l’édition la plus complète est de Rotterdam, 1703.