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de la connaissance

nent stupides et même écervelés quelquefois dans les lieux qui devraient être les écoles de la sagesse ; corruptio optimi pessima. Mais encore plus souvent ils deviennent vains, brouillons et brouillés, capricieux, incommodes, et cela dépend souvent de l’humeur des maîtres qu’ils ont. Au reste, je trouve qu’il y a des fautes bien plus grandes dans la conversation que celle de demander trop de clarté. Car ordinairement on tombe dans le vice oppose, et l’on n’en donne ou n’en demande pas assez. Si l’un est incommode, l’autre est dommageable et dangereux.

§ 12. Ph. L’usage des maximes l’est aussi quelquefois, quand on les attache à des notions fausses, vagues, et incertaines ; car alors les maximes servent à nous confirmer dans nos erreurs, et même à prouver des contradictions. Par exemple, celui qui avec Descartes se forme une idée de ce qu’il appelle corps, comme d’une chose qui n’est qu’étendue, peut démontrer aisément par cette maxime, « ce qui est, est », qu’il n’y a point de vide, c’est-à-dire d’espace sans corps. Car il connaît sa propre idée, il connaît qu’elle est ce qu’elle est et non une autre idée ; ainsi étendue, corps et espace étant chez lui trois mots qui signifient une même chose, il lui est aussi véritable de dire que l’espace est corps, que de dire que le corps est corps. § 13. Mais un autre, à qui corps signifie une étendue solide, conclura de la même façon, que de dire : que l’espace n’est pas corps, est aussi sûr qu’aucune proposition qu’on puisse prouver par cette maxime : il est impossible qu’une chose soit et ne soit pas en même temps.

Th. Le mauvais usage des maximes ne doit pas faire blâmer leur usage en général ; toutes les vérités sont sujettes à cet inconvénient qu’en les joignant à des faussetés, on peut conclure faux, ou même des contradictoires. Et dans cet exemple, on n’a guère besoin de ces axiomes identiques à qui l’on impute la cause de l’erreur et de la contradiction. Cela se verrait, si l’argument de ceux qui concluent de leurs définitions que l’espace est corps, ou que l’espace n’est point corps, était réduit en forme. Il y a même quelque chose de trop dans cette conséquence : le corps est étendu et solide, donc l’extension, c’est-à-dire l’étendue n’est point corps, et l’étendue n’est point chose corporelle ; car j’ai déjà remarqué qu’il y a des expressions superflues des idées, ou qui ne multiplient point les choses, comme si quelqu’un disait : par triquetrum j’entends un triangle trilatéral, et concluait de là que tout trilatéral n’est pas triangle. Ainsi un cartésien pourra dire que l’idée de l’étendue solide est de cette même nature,