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de la connaissance

elle-même une perfection. Donc ce degré de grandeur et de perfection, ou bien cette perfection, qui consiste dans l’existence, est dans cet Être suprême, tout grand, tout parfait : car autrement quelque degré lui manquerait, contre sa définition. Et par conséquent cet Être suprême existe. Les scolastiques, sans excepter même leur Docteur angélique ont méprise cet argument et l’ont fait passer pour un paralogisme ; en quoi ils ont eu tort, et M. Descartes, qui avait étudié assez longtemps la philosophie scolastique au collège des Jésuites de la Flèche, a eu grande raison de le rétablir. Ce n’est pas un paralogisme, mais c’est une démonstration imparfaite, qui suppose quelque chose qu’il fallait encore prouver, pour le rendre d’une évidence mathématique, c’est qu’on suppose tacitement que cette idée de l’Être tout grand ou tout parfait est possible et n’implique point de contradiction. Et c’est déjà quelque chose que par cette remarque on prouve que supposé que Dieu soit possible, il existe, ce qui est le privilège de la seule divinité. On a droit de présumer la possibilité de tout être et surtout celle de Dieu jusqu’à ce que quelqu’un prouve le contraire. De sorte que cet argument métaphysique donne déjà une conclusion morale démonstrative, qui porte que suivant l’état présent de nos connaissances, il faut juger que Dieu existe, et agir conformément à cela. Mais il serait pourtant à souhaiter que des habiles gens achevassent la démonstration dans la rigueur d’une évidence mathématique, et je crois d’avoir dit quelque chose ailleurs qui y pourra servir. L’autre argument de M. Descartes, qui entreprend de prouver l’existence de Dieu, parce que son idée est en notre âme, et qu’il faut qu’elle soit venue de l’original, est encore moins concluant. Car premièrement cet argument a ce défaut commun avec le précédent, qu’il suppose qu’il y a en nous une telle idée, c’est-à-dire que Dieu est possible. Car ce qu’allègue M. Descartes qu’en parlant de Dieu nous savons ce que nous disons, et que par conséquent nous en avons l’idée, est un indice trompeur, puisqu’en parlant du mouvement perpétuel mécanique, par exemple, nous savons ce que nous disons, et cependant ce mouvement est une chose impossible, dont par conséquent on ne saurait avoir idée qu’en apparence. Et secondement, ce même argument ne prouve pas assez que l’idée de Dieu, si nous l’avons, doit venir de l’original. Mais je ne veux point m’y arrêter présentement. Vous me direz, Monsieur, que, reconnaissant en nous l’idée innée de Dieu, je ne dois point dire qu’on peut révoquer en doute s’il y en a