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nouveaux essais sur l’entendement

point de partie commune, l’autre, qu’elles ne comprennent point d’espace. Archimède a donné une manière de définition de la droite en disant que c’est la plus courte ligne entre deux points. Mais il suppose tacitement en employant dans ses définitions des éléments tels que ceux d’Euclide, fondés sur les deux axiomes dont je viens de faire mention, que les affections, dont parlent ces axiomes, conviennent à la ligne qu’il définit. Ainsi, si vous croyez avec vos amis, sous prétexte de la convenance et disconvenance des idées, qu’il était permis et l’est encore de recevoir en Géométrie ce que les images nous disent, sans chercher cette rigueur de démonstration par les définitions et les axiomes que les anciens ont exigée dans cette science (comme je crois, bien des gens jugeront faute d’information), je vous avouerai, Monsieur, qu’on peut s’en contenter pour ceux qui ne se mettent en peine que de la géométrie pratique telle quelle, mais non pas pour ceux qui veulent avoir la science qui elle-même a perfectionné la pratique. Et, si les anciens avaient été de cet avis et s’étaient relâchés sur ce point, je crois qu’ils ne seraient allés guère avant et ne nous auraient laissé qu’une géométrie empirique telle qu’était apparemment celle des Égyptiens, et telle qu’il semble que celle des Chinois est encore : ce qui nous aurait privés des plus belles connaissances physiques et mécaniques que la géométrie nous a fait trouver et qui sont inconnues partout ou l’est notre géométrie. Il y a aussi de l’apparence qu’en suivant les sens et leurs images, on serait tombé dans des erreurs ; à peu près comme l’on voit que tous ceux qui ne sont point instruits dans la géométrie exacte reçoivent pour une vérité indubitable, sur la foi de leur imagination, que deux lignes qui s’approchent continuellement doivent se rencontrer enfin, au lieu que les géomètres donnent des instances contraires dans certaines lignes, qu’ils appellent asymptotes. Mais, outre cela., nous serions privés de ce que j’estime le plus dans la géométrie par rapport à la contemplation, qui est de laisser entrevoir la vraie source des vérités éternelles et du moyen de nous en faire comprendre la nécessité, que les idées confuses des sens ne sauraient faire voir distinctement. Vous me direz qu’Euclide a été obligé pourtant de se borner à certains axiomes, dont on ne voit l’évidence que confusément par le moyen des images. Je vous avoue qu’il s’est borné à ces axiomes, mais il valait mieux se borner à un petit nombre de vérités de cette nature qui lui paraissaient les plus simples, et en déduire les autres, qu’un autre moins exact aurait prises aussi pour cer-