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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/466

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nouveaux essais sur l’entendement

nous y trouverons si peu de différence, qu’il sera bien malaisé d’assurer que l’entendement de ces hommes soit plus net ou plus étendu que celui de ces bêtes. Lors donc que nous observons une telle gradation insensible entre les parties de la création depuis l’homme jusqu’aux parties les plus basses, qui sont au-dessous de lui, la règle de l’analogie nous fait regarder comme probable qu’il y a une pareille gradation dans les choses qui sont au-dessus de nous et non de la sphère de nos observations, et cette espèce de probabilité est le grand fondement des hypothèses raisonnables.

Th. C’est sur cette analogie que M. Huyghens juge dans son Cosmotheoros[1] que l’état des autres planètes principales est assez approchant du nôtre ; excepté ce que la différente distance du soleil doit causer de différence : et M. de Fontenelle[2], qui avait donné déjà auparavant ses entretiens pleins d’esprit et de savoir sur la pluralité des mondes, a dit de jolies choses là-dessus, et a trouvé l’art d’égayer une matière difficile. On dirait quasi que c’est dans l’empire de la lune d’Harlequin tout comme ici. Il est vrai qu’on juge tout autrement des lunes (qui sont des satellites seulement) que des planètes principales. Képler[3] a laissé un petit livre, qui contient une fiction ingénieuse sur l’état de la lune ; et un Anglais[4], homme d’esprit, a donné la plaisante description d’un Espagnol de son invention, que des oiseaux de passage transportèrent dans la lune, sans parler de Cyrano, qui alla depuis trouver cet Espagnol. Quelques hommes d’esprit, voulant donner un beau tableau de l’autre vie, promènent les âmes bien heureuses de monde en monde ; et notre imagination y trouve une partie des belles occupations

  1. Le Cosmotheoros de Huygliens (1693), traduit en français en 1702 sous le titre de la Pluralité des mondes, postérieurement à l’ouvrage de Fontenelle et à peu près sur le même sujet. P. J.
  2. Fontenelle, ne à Rouen en 1657, mort à Paris en 1757 à l’âge de cent ans. Sans être précisément un philosophe, il appartient à l’histoire de la philosophie par l’esprit d’examen et de critique qui anime ses ouvrages. Les principaux sont : Dialogues des morts (1683) ; Entretiens sur pluralité des mondes (1686) ; l’Histoire des oracles (1687) ; Doutes sur le système des causes occasionnelles, et enfin ses Éloges, qui sont son chef-d’œuvre. P. J.
  3. Képler, né à Weill dans le Wurtemberg en 1571, mort à Ratisbonne en 1630, illustre géomètre et astronome, qui a découvert les lois des mouvements planétaires. Ses principaux ouvrages sont : Harmonices mundi libri quinque, les cinq livres de l’Harmonie du monde, et son Astronomie nouvelle, ou Physique céleste fondée sur l’étude du mouvement de Mars. Le livre auquel Leibniz fait allusion est le Somnium Kepleri. Francfort, in-4o. P. J.
  4. Godwin de Landaff, évêque anglais, dans son livre The man in the moon, London, 1638, trad. fr. Paris, 1648. P. J.