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nouveaux essais sur l’entendement

que les scotistes mettent dans les choses créées, parce qu’elles renverseraient, dit-il, le principe de contradiction : et quand on lui objecte qu’il faut admettre ces distinctions en Dieu, il répond que la foi l’ordonne. Mais comment la foi peut-elle ordonner quoi que ce soit, qui renverse un principe sans lequel toute créance, affirmation ou négation serait vaine ? Il faut donc nécessairement que deux propositions vraies en même temps ne soient point tout à fait contradictoires ; et si A et C ne sont point la même chose, il faut bien que B, qui est le même avec A, soit pris autrement que B, qui est le même avec C. Nicolaus Vedelius [1], professeur de Genève, et depuis de Deventer, a publié autrefois un livre intitulé Rationale theologicum, à qui Jean Musaeus[2], professeur d’Iéna (qui est une université évangélique en Thuringe), opposa un autre livre sur le même sujet, c’est-à-dire sur l’usage de la raison en théologie. Je me souviens de les avoir considérés autrefois, et d’avoir remarqué que la controverse principale était embrouillée par des questions incidentes, comme lorsqu’on demande ce que c’est qu’une conclusion théologique, et s’il en faut juger par les termes qui la composent ou par le moyen qui la prouve, et par conséquent si Ockam[3] a eu raison ou non, de dire que la science d’une même conclusion est la même quel moyen qu’on emploie à la prouver. Et on s’arrête sur quantités d’autres minuties encore moins considérables qui ne regardent que les termes. Cependant Musaeus convenait lui-même que les principes nécessaires d’une nécessité logique, c’est-à-dire dont l’opposé implique contradiction, doivent et peuvent être employés sûrement en théologie ; mais il avait sujet de nier que ce qui est seulement nécessaire d’une nécessité physique (c’est-à-dire fondée sur l’induction de ce qui se pratique dans la nature ou sur les lois naturelles, qui sont pour ainsi dire d’institution divine) suffit pour réfuter la créance d’un mystère ou d’un miracle ; puisqu’il dépend de Dieu de changer le cours ordinaire des choses. C’est ainsi que selon l’ordre de la nature on peut assurer qu’une même personne ne saurait être en même temps mère et vierge, ou qu’un

  1. Vedelius (Nicolas), du Palatinat, mort vers 1612.
  2. Musaeus (Jean), né en 1613 dans le comté de Schwarzbourg, mort en 1674. Il a fait un grand nombre d’ouvrages de polémique. P. J.
  3. Ockam (Guillaume d’), né à Ockam (comté de Larvey), franciscain, adversaire du pape Jean XXII, grand défenseur du nominalisme, vivait dans la première moitie du XIVe siècle siècle. Il fut disciple de Duns Scot. Ses écrits sont : Super libros Sententiarum subtilissimæ quaestiones, in-fol., Lyon, 1495 — Quodlibem septem, in-fol., Paris, 1747. — Summa logicæ, in-4o, Venise, 1591. P. J.