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nouveaux essais sur l’entendement

divines au delà de ce qu’on en a jamais conçu. Après cela j’ajouterais peu de chose, si je disais que ce sont ces petites perceptions qui nous déterminent en bien des rencontres sans qu’on y pense, et qui ironisent le vulgaire par l’apparence d’une indifférence d’équilibre, comme si nous étions indifférents de tourner par exemple à droite ou à gauche. Il n’est point nécessaire aussi que je fasse remarquer ici comme j’ai fait dans le livre même, qu’elles causent cette inquiétude, que je montre consister en quelque chose, qui ne diffère de la douleur que comme le petit du grand, et qui fait pourtant souvent notre désir et même notre plaisir, en lui donnant comme un sel qui pique. Ce sont aussi les parties insensibles de nos perceptions sensibles qui font qu’il y a un rapport entre ces perceptions des couleurs, des chaleurs, et autres qualités sensibles, et entre les mouvements dans les corps qui y répondent ; au lieu que les cartésiens, avec notre auteur, tout pénétrant qu’il est, conçoivent les perceptions que nous avons de ces qualités, comme arbitraires, c’est-à-dire comme si Dieu les avait données à l’âme suivant son bon plaisir, sans avoir égard à aucun rapport essentiel entre les perceptions et leurs objets : sentiment qui me surprend et me paraît peu digne de la sagesse de l’auteur des choses, qui ne fait rien sans harmonie et sans raison.

En un mot, les perceptions insensibles sont d’un aussi grand usage dans la pneumatique[1], que les corpuscules dans la physique ; et il est également déraisonnable de rejeter les uns et les autres, sous prétexte qu’elles sont hors de la portée de nos sens. Rien ne se fait tout d’un coup, et c’est une de mes grandes maximes et des plus vérifiées, que la nature ne fait jamais des sauts : ce que j’appelais la loi de la continuité, lorsque j’en parlais dans les premières Nouvelles de la république des lettres ; et l’usage de cette loi est très considérable dans la physique. Elle porte qu’on passe toujours du petit au grand et à rebours par le médiocre, dans les degrés comme dans les parties ; et que jamais un mouvement ne naît immédiatement du repos, ni ne s’y réduit que par un mouvement plus petit, comme on n’achève jamais de parcourir aucune ligne ou longueur avant d’avoir achevé une ligne plus petite, quoique jusqu’ici ceux qui ont donné les lois du mouvement n’aient point observé cette loi, croyant qu’un corps peut recevoir en un moment

  1. Pneumatique, science des esprits (πνεῦμα, souffle, esprit).