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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/509

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de nos plus grands biens ; et quoique les grands se ressentent autant et plus que les autres des mauvais effets de cette négligence, ils n’en reviennent point. Pour ce qui se rapporte à la foi, plusieurs regardent la pensée qui les pourrait porter à la discussion comme une tentation du démon, qu’ils ne croient pouvoir mieux surmonter qu’en tournant l’esprit à toute autre chose. Les hommes qui n’aiment que les plaisirs ou qui s’attachent à quelque occupation ont coutume de négliger les autres affaires. Un joueur, un chasseur, un buveur, un débauché, et même un curieux de bagatelles perdra sa fortune et son bien, faute de se donner la peine de solliciter un procès ou de parler à des gens en poste. Il y en a comme l’empereur Honorius, qui, lorsqu’on lui porta la perte de Rome, crut que c’était sa poule qui portait ce nom, ce qui le fâcha plus que la vérité. Il serait à souhaiter que les hommes qui ont du pouvoir eussent de la connaissance à proportion ; mais quand le détail des sciences, des arts, de l’histoire des langues n’y serait pas ; un jugement solide et exercé et une connaissance des choses également grandes et générales, en un mot summa rerum pourrait suffire. Et comme l’empereur Auguste avait un abrégé des forces et besoins de l’État qu’il appelait breviarium imperii, on pourrait avoir un abrégé des intérêts de l’homme, qui mériterait d’être appelé enchiridion sapientiæ, si les hommes voulaient avoir soin de ce qui leur importe le plus.

§ 7. Ph. Enfin la plupart de nos erreurs viennent des fausses mesures de probabilité qu’on prend, soit en suspendant son jugement malgré des raisons manifestes, soit en le donnant malgré des probabilités contraires. Ces fausses mesures consistent : 1o dans des propositions douteuses, prises pour principes ; 2o dans les hypothèses reçues ; 3o dans l’autorité. § 8. Nous jugeons ordinairement de la vérité par la conformité avec ce que nous regardons comme principes incontestables, et cela nous fait mépriser le témoignage des autres et même celui de nos sens quand ils y sont ou paraissent contraires : mais, avant que de s’y fier avec tant d’assurance, il faudrait les examiner avec la dernière exactitude. § 9. Les enfants reçoivent des propositions qui leur sont inculquées par leur père et mère, nourrices, précepteurs et autres qui sont autour d’eux, et ces propositions, ayant pris racine, passent pour sacrées comme un Urim et Thunim, que Dieu aurait mis lui-même dans l’âme. § 10. On a a de la peine à souffrir ce qui choque ces oracles internes pendant qu’on digère les plus grandes absurdités qui s’y accordent. Cela paraît par