Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
nouveaux essais sur l’entendement

qu’elle est divisible et divisée inégalement en différents endroits à cause des mouvements qui y sont déjà plus ou moins conspirants. Ce qui fait qu’elle a partout un degré de roideur aussi bien que de fluidité et qu’il n’y a aucun corps, qui soit dur ou fluide au suprême degré, c’est-à-dire qu’on n’y trouve aucun atome d’une dureté insurmontable, ni aucune masse entièrement indifférente à la division. Aussi l’ordre de la nature, et particulièrement la loi de la continuité détruit également l’un et l’autre.

J’ai fait voir aussi que la cohésion, qui ne serait pas elle-même l’effet de l’impulsion ou du mouvement, causerait une traction prise à rigueur. Car, s’il y avait un corps originairement roide, par exemple un atome d’Épicure, qui aurait une partie avancée en forme de crochet (puisqu’on peut se figurer des atomes de toutes sortes de figures), ce crochet poussé tirerait avec lui le reste de cet atome, c’est-à-dire la partie qu’on ne pousse point, et qui ne tombe point dans la ligne de l’impulsion. Cependant notre habile auteur est lui-même contre ces tractions philosophiques, telles qu’on attribuait autrefois à la crainte du vide ; et il les réduit aux impulsions, soutenant avec les modernes qu’une partie de la matière n’opère immédiatement sur l’autre qu’en la poussant de près, en quoi je crois qu’ils ont raison, parce qu’autrement il n’y a rien d’intelligible dans l’opération.

Il faut pourtant que je ne dissimule point d’avoir remarqué une manière de rétractation en notre excellent auteur sur ce sujet dont je ne saurais m’empêcher de louer en cela la modeste sincérité, autant que j’ai admiré son génie pénétrant en d’autres occasions. C’est dans la réponse à la seconde lettre de feu M.  l’évêque de Worcester[1], imprimée en 1699, page 408, où pour justifier le sentiment qu’il avait soutenu contre ce savant prélat, savoir que la matière pourrait penser, il dit entre autres choses : «v J’avoue que j’ai dit (livre II de l’Essai concernant l’entendement, ch. viii, § 11) que le corps opère par impulsion et non autrement. Aussi était-ce mon sentiment quand je l’écrivais, et encore présentement je ne saurais concevoir une autre manière d’agir. Mais depuis j’ai été convaincu par le livre incomparable du judicieux M.  Newton qu’il y a trop de présomption de vouloir limiter la puissance de Dieu par nos conceptions bornées. La

  1. Stillingfleet (Ed.), controversiste anglican, né à Cranbourg (comte de Dorset) en 1635, èvêque de Worcester, et célèbre par sa discussion contre Locke sur la question de l’immatérialité de l’âme, mort il Westminster en 1699. Ses œuvres ont été imprimées en 1711, en 6 vol. in-fol.