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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/57

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préface

tériel, rende probable, au suprême degré, que la substance qui pense en nous est immatérielle — cependant j’ai montré (ajoute l’auteur, p. 68) que les grands buts de la religion et de la morale sont assurés par l’immortalité de l’âme, sans qu’il soit besoin de supposer son immatérialité. »

Le savant évêque dans sa réponse à cette lettre, pour faire voir que notre auteur a été d’un autre sentiment, lorsqu’il écrivait son second livre de l’Essai, en allègue, p. 51, ce passage (pris du même livre, ch. 23, § 15), où il est dit que « par les idées simples que nous avons déduites des opérations de notre esprit, nous pouvons former l’idée complexe d’un esprit, et que mettant ensemble les idées de pensée, de perception, de liberté et de puissance de mouvoir notre corps, nous avons une notion aussi claire des substances immatérielles que des matérielles. » Il allègue d’autres passages encore pour faire voir que l’auteur opposait l’esprit au corps, et dit. (p. 54) que le but de la religion et de la morale est mieux assuré, en prouvant que l’âme est immortelle par sa nature, c’est-à-dire immatérielle. Il allègue encore (p. 70) ce passage « que toutes les idées que nous avons des espèces particulières et distinctes des substances, ne sont autre chose que différentes combinaisons d’idées simples », et qu’ainsi l’auteur a cru que l’idée de penser et de vouloir donnait une autre substance, différente de celle que donne l’idée de la solidité et de l’impulsion. Et que (§ 17) il marque que ces idées constituent le corps opposé il l’esprit.

M. de Worcester pouvait ajouter que de ce que l’idée générale de substance est dans le corps et dans l’esprit, il ne s’ensuit pas que leurs différences soient des modifications d’une même chose, comme notre auteur vient de le dire dans l’endroit que j’ai rapporté de sa première lettre. Il faut bien distinguer entre modifications et attributs. Les facultés d’avoir de la perception et d’agir, l’étendue, la solidité, sont des attributs ou des prédicats perpétuels et principaux ; mais la pensée, l’impétuosité, les figures, les mouvements, sont des modifications de ces attributs. De plus, on doit distinguer entre genre physique ou plutôt réel, et genre logique ou idéal. Les choses qui sont d’un même genre physique, ou qui sont homogènes, sont d’une même matière pour ainsi dire et peuvent souvent être changées l’une dans l’autre par le changement de la modification, comme les cercles et les carrés. Mais deux choses hétérogènes peuvent avoir un genre logique commun, et alors leurs différences ne sont pas de