Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
nouveaux essais sur l’entendement

que les modifications qui peuvent venir naturellement ou sans miracle à un sujet, y doivent venir des limitations ou variations d’un genre réel ou d’une nature originaire constante et absolue. Car c’est ainsi qu’on distingue chez les philosophes les modes d’un être absolu, de cet être même, comme l’on sait que la grandeur, la figure et le mouvement, sont manifestement des limitations et variations de la nature corporelle. Car il est clair comment une étendue bornée donne des figures, et que le changement qui s’y fait n’est autre chose que le mouvement ; et toutes les fois qu’on trouve quelque qualité dans un sujet, on doit croire que si on entendait la nature de ce sujet et de cette qualité, on concevrait comment cette qualité en peut résulter. Ainsi, dans l’ordre de la nature (les miracles mis à part), il n’est pas arbitraire à Dieu de donner indifféremment aux substances telles ou telles qualités ; et il ne leur en donnera jamais que celles qui leur seront naturelles, c’est-à-dire qui pourront être dérivées de leur nature comme des modifications explicables. Ainsi on peut juger que la matière n’aura pas naturellement l’attraction, mentionnée ci-dessus, et n’ira pas d’elle-même en ligne courbe, parce qu’il n’est pas possible de concevoir comment cela s’y fait, c’est-à-dire de l’expliquer mécaniquement ; au lieu que ce qui est naturel doit pouvoir devenir concevable distinctement, si l’on était admis dans le secret des choses. Cette distinction entre ce qui est naturel et explicable et ce qui est inexplicable et miraculeux lève toutes les difficultés, et en la rejetant, on soutiendrait quelque chose de pis que les qualités occultes, et on renoncerait en cela à la philosophie et à la raison, en ouvrant des asiles de l’ignorance et de la paresse par un système sourd, qui admet non seulement qu’il y a des qualités que nous n’entendons pas, dont il n’y en a que trop, mais aussi, qu’il y en a, que le plus grand esprit, si Dieu lui donnait toute l’ouverture possible, ne pourrait pas comprendre, c’est-à-dire qui seraient ou miraculeuses, ou sans rime et sans raison : et cela même serait sans rime et sans raison que Dieu fit des miracles ordinairement ; de sorte que cette hypothèse fainéante détruit-ait également notre philosophie, qui cherche les raisons, et la divine sagesse qui les fournit.

Pour ce qui est maintenant de la pensée, il est sûr, et l’auteur le reconnaît plus d’une fois, qu’elle ne saurait être une modification intelligible de la matière, c’est-à-dire que l’être sentant ou pensant n’est pas une chose machinale, comme une montre ou un moulin, en