Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/623

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toute autre âme ou substance en aura quelque perception ou expression. Il est vrai que nous ne nous apercevons pas distinctement de tous les mouvements de notre corps, comme par exemple de celui de la lymphe, mais (pour me servir d’un exemple que j’ai déjà employé) c’est comme il faut bien que j’aie quelque perception du mouvement de chaque vague du rivage, afin de me pouvoir apercevoir de ce qui résulte de leur assemblage, savoir de ce grand bruit qu’on entend proche de la mer ; ainsi nous sentons aussi quelque résultat confits de tous les mouvements qui se passent en nous ; mais, étant accoutumés à ce mouvement interne, nous ne nous en apercevons distinctement et avec réflexion que lorsqu’il y a une altération considérable, comme dans les commencements des maladies. Et il serait à souhaiter que les médecins s’attachassent à distinguer plus exactement ces sortes de sentiments confus que nous avons dans notre corps. Or, puisque nous ne nous apercevons des autres corps que par le rapport qu’ils ont au nôtre, j’ai eu raison de dire que l’âme exprime mieux ce qui appartient à notre corps ; aussi ne connaît-on les satellites de Saturne ou de Jupiter que suivant un mouvement qui se fait dans nos yeux. Je crois qu’en tout ceci un cartésien sera de mon sentiment, excepté que je suppose qu’il y a à l’entour de nous d’autres âmes que la nôtre, à qui j’attribue une expression ou perception inférieure à la pensée, au lieu que les cartésiens refusent le sentiment aux bêtes et n’admettent point de forme substantielle hors de l’homme ; ce qui ne fait rien à la question que nous traitons ici de la cause de la douleur. Il s’agit donc maintenant de savoir comment l’âme s’aperçoit des mouvements de son corps, puisqu’on ne voit pas moyen d’expliquer par quels canaux l’action d’une masse étendue passe sur un être indivisible. Les cartésiens ordinaires avouent de ne pouvoir rendre raison de cette union ; les auteurs de l’hypothèse des causes occasionnelles croient que c’est nodus vindice dignus, cui Deus ex machina intervenire debeat ; pour moi, je l’explique d’une manière naturelle. Par la notion de la substance ou de l’être accompli en général, qui porte que toujours son état présent est une suite naturelle de son état précédent, il s’ensuit que la nature de chaque substance singulière et par conséquent de toute âme est d’exprimer l’univers, elle a été d’abord créée de telle sorte qu’en vertu des propres lois de sa nature il lui doit arriver de s’accorder avec ce qui se passe dans les corps, et particulièrement dans le sien ; il ne faut donc pas s’étonner qu’il lui