Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/625

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puisque nous voyons que des mathématiciens représentent les mouvements des cieux dans une machine (comme lorsque

Jura poli rerumque fidem legesque deorum
Cuncta Syracusius transtulit arte sencex
,
ce que nous pouvons bien mieux faire aujourd’hui qu’Archimède ne pouvait de son temps), pourquoi Dieu, qui les surpasse infiniment, ne pourrait-il pas d’abord créer des substances représentatives en sorte qu’elles expriment par leurs propres lois, suivant le changement naturel de leurs pensées ou représentations, tout ce qui doit arriver à tout corps, ce qui me paraît non seulement facile à concevoir, mais encore digne de Dieu et de la beauté de l’univers, et en quelque façon nécessaire, toutes les substances devant avoir une harmonie et liaison entre elles, et toutes devant exprimer en elles le même univers, et la cause universelle qui est la volonté de leur créateur, et les décrets ou lois qu’il a établies pour faire qu’elles s’accommodent entre elles le mieux qu’il se peut. Aussi cette correspondance mutuelle des différentes substances (qui ne sauraient agir l’une sur l’autre à parler dans la rigueur métaphysique, et s’accordent néanmoins comme si l’une agissait sur l’autre) est une des plus fortes preuves de l’existence de Dieu ou d’une cause commune que chaque effet doit toujours exprimer suivant son point de vue et sa capacité. Autrement, les phénomènes des esprits différents ne s’entraccorderaient point, et il y aurait autant de systèmes que de substances ; ou bien ce serait un pur hasard, s’ils s’accordaient quelquefois. Toute la notion que nous avons du temps et de l’espace est fondée sur cet accord ; mais je n’aurais jamais fait, si je devais expliquer à fond tout ce qui est lié avec notre sujet. Cependant j’ai mieux aimé d’être prolixe que de ne me pas exprimer assez.

Pour passer à vos autres doutes, crois maintenant que vous verrez, Monsieur, comment je l’entends, quand je dis qu’une substance corporelle se donne son mouvement elle-même, ou plutôt ce qu’il y a de réel dans le mouvement à chaque moment, c’est-à-dire la force dérivative, dont il est une suite ; puisque tout état précédent d’une substance est une suite de son état précédent. Il est vrai qu’un corps qui n’a point de mouvement ne s’en peut pas donner ; mais je tiens qu’il n’y a point de tel corps. Vous me direz que Dieu peut réduire un corps à l’état d’un parfait repos, mais je réponds que Dieu le peut aussi réduire à rien, et que ce corps destitué d’action