Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/668

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n’étant que transformée par des différents plis qu’elle reçoit, et tantôt étendue et tantôt resserrée et comme concentrée, lorsqu’on croit qu’elle est perdue.

11. De plus, par le moyen de l’âme ou forme, il y a une véritable unité qui répond à ce qu’on appelle moi en nous ; ce qui ne saurait avoir lieu ni dans les machines de l’art, ni dans la simple masse de la matière, quelque organisée qu’elle puisse être ; qu’on ne peut considérer que comme une armée ou un troupeau, ou comme un étang plein de poissons, ou comme une montre composée de ressorts et de roues. Cependant s’il n’y avait point de véritables unités substantielles, il n’y aurait rien de substantiel ni de réel dans la collection. C’était ce qui avait forcé M.  Cordemoy à abandonner Descartes, en embrassant la doctrine des atomes de Démocrite, pour trouver une véritable unité. Mais les atomes de matière sont contraires à la raison : outre qu’ils sont encore composés de parties, puisque l’attachement invincible d’une partie à l’autre (quand on le pourrait concevoir ou supposer avec raison) ne détruirait point leur diversité. Il n’y a que les atomes de substance, c’est-à-dire les unités réelles et absolument destituées de parties, qui soient les sources des actions, et les premiers principes absolus de la composition des choses, et comme les derniers éléments de l’analyse des choses substantielles. On les pourrait appeler points métaphysiques : ils ont quelque chose de vital et une espèce de perception, et les points mathématiques sont leurs points de vue, pour exprimer l’univers. Mais quand les substances corporelles sont resserrées, tous leurs organes ensemble ne font qu’un point physique à notre égard. Ainsi les points physiques ne sont indivisibles qu’en apparence : les points mathématiques sont exacts, mais ce ne sont que des modalités : il n’y a que les points métaphysiques ou de substance (constitués par les formes ou âmes) qui soient exacts et réels ; et sans eux il n’y aurait rien de réel, puisque sans les véritables unités, il n’y aurait point de multitude.

12. Après avoir établi ces choses, je croyais entrer dans le port ; mais lorsque je me mis à méditer sur l’union de l’âme avec le corps, je fus comme rejeté en pleine mer. Car je ne trouvais aucun moyen d’expliquer comment le corps fait passer quelque chose dans l’âme ou vice versa, ni comment une substance peut communiquer avec une autre substance créée. M.  Descartes avait quitté la partie là-dessus, autant qu’on le peut connaître par ses écrits ; mais ses disciples, voyant que l’opinion commune est inconcevable, jugèrent que