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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/709

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Considérations
sur la doctrine d’un esprit universel

1702

Plusieurs personnes ingénieuses ont cru et croient encore aujourd’hui qu’il n’y a qu’un seules esprit, qui est universel et qui anime tout l’univers et toutes ses parties, chacune suivant sa structure et suivant les organes qu’il trouve, comme un même souffle de vent fait sonner différemment divers tuyaux d’orgue. Et qu’ainsi lorsqu’un animal a ses organes bien disposés il y fait l’effet d’une âme particulière, mais lorsque les organes sont corrompus, cette âme particulière revient à rien ou retourne pour ainsi dire dans l’océan de l’esprit universel.

Aristote a paru à plusieurs d’une opinion approchante qui a été renouvelée par Averroës, célèbre philosophe arabe. Il croyait qu’il y avait en nous un intellectus agens, ou entendement actif, et aussi un intellectus patiens ou entendement passif ; que le premier, venant du dehors, était éternel et universel pour tous, mais que l’entendement passif, particulier à chacun, se teignait dans la mort de l’homme. Cette doctrine a été celle de quelques péripatéticiens depuis deux ou trois siècles, comme de Pomponatius, Contarenus et autres ; et on en reconnaît les traces dans feu M. Naudé, comme ses lettres et les Naudeana qu’on a imprimés depuis peu le font connaître. Ils l’enseignaient en secret à leurs plus intimes et plus habiles disciples, au lieu qu’en public ils avaient l’adresse de dire que cette doctrine était en effet vraie selon la philosophie, par laquelle ils entendaient celle d’Aristote par excellence, mais qu’elle était fausse selon la foi, d’où sont venues enfin les disputes sur la double vérité, qui a été condamnée dans le dernier concile de Latran.