Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/713

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matière, — mais je trouve pourtant qu’il n’y a jamais pensée abstraite qui ne soit accompagnée de quelques images ou traces matérielles, et j’ai établi un parallélisme parfait entre ce qui passe dans l’âme et entre ce qui arrive dans la matière, ayant montré que l’âme avec ses fonctions est quelque chose de distinct de la matière, mais que cependant elle est toujours accompagnée des organes qui lui doivent répondre et que cela est réciproque et le sera toujours.

Et quant à la séparation entière de l’âme et du corps, quoique je ne puisse rien dire des lois de la grâce, et de ce que Dieu a ordonné à l’égard des âmes humaines et particulières au delà de ce que dit la sainte Écriture, puisque ce sont des choses qu’on ne peut point savoir par la raison, et qui dépendent de la révélation et de Dieu même, néanmoins je ne vois aucune raison ni de la religion, ni de la philosophie, qui m’oblige de quitter la doctrine du parallélisme de l’âme et du corps, et d’admettre une parfaite séparation. Car pourquoi l’âme ne pourrait-elle pas toujours garder un corps subtil, organisé à sa manière, qui pourra même reprendre un jour ce qu’il faut de son corps visible dans la résurrection, puisqu’on accorde aux bienheureux un corps glorieux, et puisque les anciens pères ont accordé un corps subtil aux anges.

Et cette doctrine, d’ailleurs, est conforme à l’ordre de la nature, établi sur les expériences ; car comme les observations de fort habiles observateurs nous font juger que les animaux ne commencent point, quand le vulgaire le croit, et que les animaux séminaux, ou les semences animées ont subsisté déjà depuis le commencement des choses, et l’ordre et la raison veut que ce qui a existé depuis le commencement ne finisse pas non plus, et qu’ainsi comme la génération n’est qu’un accroissement d’un animal transformé et développé, la mort ne sera que la diminution d’un animal transformé et enveloppé, mais que l’animal demeurera toujours pendant les transformations, comme le ver à soie et le papillon est le même animal. Et il est bon ici de remarquer que la nature a cette adresse et bonté, de nous découvrir ses secrets dans quelques petits échantillons, pour nous faire juger du reste, tout étant correspondant et harmonique. C’est ce qu’elle montre dans la transformation des chenilles et autres insectes, car les mouches viennent aussi des vers, pour nous faire deviner qu’il y a des transformations partout. Et les expériences des insectes ont détruit l’opinion vulgaire que ces animaux n’engendraient par la pourriture sans propagation. C’est ainsi que la nature