Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/715

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ait dans ces vicissitudes un certain progrès bien réglé qui serve à faire mourir et perfectionner les choses. Il semble que Démocrite lui-même a vu cette ressuscitation des animaux, car Plotin lui attribue qu’il enseignait une résurrection.

Toutes ces considérations font voir comment, non seulement les âmes particulières, mais même les animaux subsistent, et qu’il n’y a aucune raison de croire une extinction entière des âmes, ou bien une destruction entière de l’animal, et, par conséquence, qu’on n’a point besoin de recourir à un esprit universel, et de priver la nature de ses perfections particulières et subsistantes : ce qui, en effet, serait aussi n’en pas assez considérer l’ordre et l’harmonie. Il y a aussi bien des choses dans la doctrine de l’esprit universel unique, qui ne se soutiennent point, et s’embarrassent dans les difficultés bien plus grandes que la doctrine ordinaire.

En voici quelques-unes : on voit d’abord que la comparaison du souffle qui fait sonner diversement de différents tuyaux, flatte l’imagination, mais qu’elle n’explique rien, ou plutôt qu’elle insinue tout le contraire. Car ce souffle universel des tuyaux n’est qu’un amas de quantité de souffles particuliers, puis chaque tuyau est rempli de son air, qui peut même passer d’un tuyau dans l’autre, de sorte que cette comparaison établirait plutôt des âmes particulières et favoriserait même la transmigration des âmes d’un corps dans l’autre, comme l’air peut changer de tuyau.

Et si on s’imagine que l’esprit universel est comme un océan composé d’une infinité de gouttes, qui en sont détachées quand elles animent quelque corps organique particulier, mais qu’elles se réunissent à leur océan après la destruction des organes, on se forme encore une idée matérielle et grossière, qui ne convient point à la chose et s’embarrasse dans les mêmes difficultés que celle du souffle. Car comme l’océan est un amas de gouttes, Dieu serait pour ainsi dire un assemblage de toutes les âmes, à peu près de la même manière qu’un essaim d’abeilles est un assemblage de ces petits animaux, mais comme cet essaim n’est pas lui-même une véritable substance, il est clair que de cette manière l’esprit universel ne serait point un être véritable lui-même, et au lieu de dire qu’il est le seul esprit, il faudrait dire qu’il n’est rien du tout en soi, et qu’il n’y a dans la nature que des âmes particulières, dont il serait l’amas. Outre que les gouttes réunies à l’océan de l’esprit universel après la destruction des organes seraient en effet des âmes, qui subsisteraient sé-