Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/787

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espace sans corps. Dieu est certainement présent dans tout l’espace vide ; et peut-être qu’il y a aussi dans cet espace plusieurs autres substances, qui ne sont pas matérielles, et qui par conséquent ne peuvent être tangibles, ni aperçues par aucun de nos sens.

10. L’espace n’est pas une substance, mais un attribut ; et si c’est un attribut d’un être nécessaire, il doit (comme tous les autres attributs d’un être nécessaire) exister plus nécessairement que les substances mêmes, qui ne sont pas nécessaires. L’espace est immense, immuable et éternel ; et l’on doit dire la même chose de la durée. Mais il ne s’ensuit pas de là qu’il y ait rien d’éternel hors de Dieu. Car l’espace et la durée ne sont pas hors de Dieu : ce sont des suites immédiates et nécessaires de son existence, sans lesquelles il ne serait point éternel et présent partout.

11 et 12. Les infinis ne sont composés de finis que comme les finis sont composés d’infinitésimes. J’ai fait voir ci-dessus en quel sens on peut dire que l’espace a des parties, ou qu’il n’en a pas. Les parties, dans le sens que l’on donné à ce mot lorsqu’on l’applique aux corps, sont séparables, composées, désunies, indépendantes les unes des autres, et capables de mouvement. Mais quoique l’imagination puisse en quelque manière concevoir des parties dans l’espace infini, cependant comme ces parties, improprement ainsi dites, sont essentiellement immobiles et inséparables les unes des autres, il s’ensuit que cet espace est essentiellement simple et absolument indivisible.

13. Si le monde a une étendue bornée, il peut être mis en mouvement par la puissance de Dieu ; et par conséquent l’argument que je fonde sur cette mobilité est une preuve concluante. Quoique deux lieux soient parfaitement semblables, ils ne sont pas un seul et même lieu. Le mouvement ou le repos de l’univers n’est pas le même état : comme le mouvement ou le repos d’un vaisseau n’est pas non plus le même état, parce qu’un homme renfermé dans la cabane ne saurait s’apercevoir si le vaisseau fait voile ou non, pendant que son mouvement est uniforme. Quoique cet homme ne s’aperçoive pas du mouvement du vaisseau, ce mouvement ne laisse pas d’être en état réel et différent, et il produit des effets réels et différents ; et s’il était arrêté tout d’un coup, il aurait d’autres effets réels. Il en serait de même d’un mouvement imperceptible de l’univers. On n’a point répondu à cet argument, sur lequel M. le chevalier Newton insiste beaucoup dans ses Principes mathématiques. Après avoir considéré