Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/827

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lieux de l’univers ? Et en ce cas-là, puisque les parties de l’espace sont semblables, il est évident que, si Dieu n’a point donné à ces parties de matière des situations différentes dès le commencement, il n’a pu en avoir d’autre raison que sa seule volonté. Cependant on ne peut pas dire avec raison qu’une telle volonté est une volonté sans aucun motif ; car les bonnes raisons que Dieu peut avoir de créer plusieurs particules de matière parfaitement semblables doivent par conséquent lui servir de motif pour choisir (ce qu’une balance ne saurait faire) l’une des deux choses absolument indifférentes ; c’est-à-dire pour mettre ces particules dans une certaine situation, quoiqu’une situation tout à fait contraire eût été également bonne.

La nécessité, dans les questions philosophiques, signifie toujours une nécessite absolue. La nécessité hypothétique et la nécessité morale, ne sont que des manières de parler figurées ; et à la rigueur philosophique, elles ne sont point une nécessite. Il ne s’agit pas de savoir si une chose doit être, lorsque l’on suppose qu’elle est, ou qu’elle sera : c’est ce qu’on appelle une nécessité hypothétique. Il ne s’agit pas non plus de savoir s’il est vrai qu’un être bon, et qui continue d’être bon, ne saurait faire le mal ; ou si un être sage ne saurait agir d’une matière contraire à la sagesse ; ou si une personne qui aime la vérité, et qui continue de l’aimer, peut dire un mensonge ; c’est ce que l’on appelle une nécessite morale. Mais la véritable et la seule question philosophique touchant la liberté consiste à savoir si la cause ou le principe immédiat et physique de l’action est réellement dans celui que nous appelons l’agent ; ou si c’est quelque autre raison suffisante qui est la véritable cause de l’action, en agissant sur l’agent, et en faisant qu’il ne soit pas un véritable agent, mais un simple patient. On peut remarquer ici en passant que le savant auteur contredit sa propre hypothèse, lorsqu’il dit que la volonté ne suit pas toujours exactement l’entendement pratique, parce qu’elle peut quelquefois trouver des raisons exactement pour suspendre sa résolution. Car ces raisons-la ne sont-elles pas le dernier jugement de l’entendement pratique ?

24-25. S’il est possible que Dieu produise, ou qu’il ait produit deux portions de matière parfaitement semblables, de sorte que le changement de leur situation serait une chose indifférente ? Ce que le savant auteur dit d’une raison suffisante ne prouve rien. En répondant à ceci, il ne dit pas, comme il le devrait dire, qu’il est impossible que Dieu fasse deux portions de matière tout à fait sem-