Aller au contenu

Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/843

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

118-123. Si nous disons que le soleil attire la terre au travers d’un espace vide ; c’est-à-dire que la terre et le soleil tendent l’un vers l’autre (quelle qu’en puisse être la cause), avec une force qui est en proportion directe de leurs masses, ou de leurs grandeurs et densités prises ensemble, et en proportion doublée inverse de leurs distances, et que l’espace qui est entre ces deux corps est vide, c’est-à-dire qu’il n’a rien qui résiste sensiblement au mouvement des corps qui le traversent ; tout cela n’est qu’un phénomène on un fait actuel, découvert par l’expérience. Il est sans doute vrai que ce phénomène n’est pas produit sans moyen, c’est-à-dire sans une cause capable de produire un tel effet. Les philosophes peuvent donc rechercher cette cause, et tâcher de la découvrir, si cela leur est possible, soit qu’elle soit mécanique ou non mécanique. Mais s’ils ne peuvent pas découvrir cette cause, s’ensuit-il que l’effet même ou le phénomène découvert par l’expérience (c’est là tout ce que l’on veut dire par les mots d’attraction et de gravitation), s’ensuit-il, dis-je, que ce phénomène soit moins certain et moins incontestable ? Une qualité évidente doit-elle être appelée occulte, parce que la cause immédiate en est peut-être occulte, ou qu’elle n’est pas encore découverte ? Lorsqu’un corps se meut dans un cercle, sans s’éloigner par la tangente, il y a certainement quelque chose qui l’en empêche : mais si dans quelques cas il n’est pas possible d’expliquer mécaniquement la cause de cet effet, ou si elle n’a pas encore été découverte, s’ensuit-il que le phénomène soit faux ? Ce serait une manière de raisonner fort singulière.

124-130. Le phénomène même, l’attraction, la gravitation ou l’effort (quelque nom qu’on lui donne), par lequel les corps tendent l’un vers l’autre, et les lois ou les proportions de cette force sont assez connus par les observations et les expériences. Si M. Leibniz, ou quelque autre philosophe, peut expliquer ces phénomènes par les lois du mécanisme, bien loin d’être contredit, tous les savants l’en remercieront. En attendant, je ne saurais m’empêcher de dire que l’auteur raisonne d’une manière tout à fait extraordinaire, en comparant la gravitation, qui est un phénomène ou un fait actuel, avec la déclinaison des atomes, selon la doctrine d’Épicure ; lequel ayant corrompu, dans le dessein d’introduire l’athéisme, une philosophie plus ancienne et peut-être plus saine, s’avisa d’établir cette hypothèse, qui n’est qu’une pure fiction ; et qui d’ailleurs est impossible dans un monde où l’on suppose qu’il n’y a aucune intelligence.