Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme s’il fallait être incliné également du côté du oui et du non, et du côté de différents partis, lorsqu’il y en a plusieurs à prendre. Cet équilibre en tout sens est impossible ; car si nous étions également portés pour les partis A, B et C, nous ne pourrions pas être également portés pour A et pour non A. Cet équilibre est aussi absolument contraire à l’expérience, et quand on s’examinera, l’on trouvera qu’il y a toujours eu quelque cause ou raison qui nous a inclinés vers le parti qu’on a pris, quoique bien souvent on ne s’aperçoive pas de ce qui nous meut ; tout comme on ne s’aperçoit guère pourquoi en sortant d’une porte on a mis le pied droit avant le gauche, ou le gauche avant le droit.

36 Mais venons aux difficultés. Les philosophes conviennent aujourd’hui que la vérité des futurs contingents est déterminée, c’est-à-dire que les futurs contingents sont futurs, ou bien qu’ils seront, qu’ils arriveront ; car il est aussi sûr que le futur sera, qu’il est sûr que le passé a été. Il était déjà vrai il y a cent ans que j’écrirais aujourd’hui ; comme il sera vrai après cent ans que j’ai écrit. Ainsi le contingent, pour être futur, n’en est pas moins contingent ; et la détermination, qu’on appellerait certitude, si elle était connue, n’est pas incompatible avec la contingence. On prend souvent le certain et le déterminé pour une même chose, parce qu’une vérité déterminée est en état de pouvoir être connue, de sorte qu’on peut dire que la détermination est une certitude objective.

37 Cette détermination vient de la nature même de la vérité et ne saurait nuire à la liberté ; mais il y a d’autres déterminations qu’on prend d’ailleurs et premièrement de la prescience de Dieu, laquelle plusieurs ont crue contraire à la liberté. Car ils disent que ce qui est prévu ne peut pas manquer d’exister, et ils disent vrai ; mais il ne s’ensuit pas qu’il soit nécessaire, car la vérité nécessaire est celle dont le contraire est impossible ou implique contradiction. Or, cette vérité, qui porte que j’écrirai demain, n’est point de cette nature, elle n’est point nécessaire. Mais supposé que Dieu la prévoie, il est nécessaire qu’elle arrive ; c’est-à-dire la conséquence est nécessaire, savoir qu’elle existe, puisqu’elle a été prévue, car Dieu est infaillible ; c’est ce qu’on appelle une nécessité hypothétique. Mais ce n’est pas cette nécessité dont il s’agit : c’est une nécessité absolue qu’on demande, pour pouvoir dire qu’une action est nécessaire, qu’elle n’est point contingente, qu’elle n’est point l’effet d’un choix libre. Et d’ailleurs il est fort aisé de juger que la prescience en elle-même