Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/114

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avant que la volonté se détermine virtuellement pour sortir de son état d’équilibre ; et le P. Louis de Dole, dans son livre du Concours de Dieu, cite des molinistes, qui tâchent de se sauver par ce moyen : car ils sont contraints d’avouer qu’il faut que la cause soit disposée à agir. Mais ils n’y gagnent rien, ils ne font qu’éloigner la difficulté : car on leur demandera tout de même, comment la cause libre vient à se déterminer virtuellement. Ils ne sortiront donc jamais d’affaire, sans avouer qu’il y a une prédétermination dans l’état précédent de la créature libre, qui l’incline à se déterminer.

49 C’est ce qui fait aussi que le cas de l’âne de Buridan[1] entre deux prés, également porté à l’un et à l’autre, est une fiction qui ne saurait avoir lieu dans l’univers, dans l’ordre de la nature, quoique M. Bayle soit dans un autre sentiment. Il est vrai, si le cas était possible, qu’il faudrait dire qu’il se laisserait mourir de faim : mais, dans le fond, la question est sur l’impossible ; à moins que Dieu ne produise la chose exprès. Car l’univers ne saurait être mi-parti par un plan tiré par le milieu de l’ane, coupé verticalement suivant sa longueur, en sorte que tout soit égal et semblable de part et d’autre ; comme une ellipse et toute figure dans le plan, du nombre de celles que j’appelle amphidextres, pour être mi-partie ainsi, par quelque ligne droite que ce soit qui passe par son centre. Car ni les parties de l’univers, ni les viscères de l’animal, ne sont pas semblables, ni également situées des deux côtés de ce plan vertical. Il y aura donc toujours bien des choses dans l’âne et hors de l’âne, quoiqu’elles ne nous paraissent pas, qui le détermineront à aller d’un côté plutôt que de l’autre. Et quoique l’homme soit libre, ce que l’âne n’est pas, il ne laisse pas d’être vrai par la même raison, qu’encore dans l’homme le cas d’un parfait équilibre entre deux partis est impossible, et qu’un ange, ou Dieu au moins pourrait toujours rendre raison du parti que l’homme a pris, en assignant une cause ou une raison inclinante, qui l’a porté véritablement à le prendre ; quoique cette raison serait souvent bien composée et inconcevable à nous-mêmes, parce que l’enchaînement des causes liées les unes avec les autres va loin.

  1. On sait que l’àne de Buridan est le cas d’un àne, qui étant affamé et placé entre deux bottes de foin absolument semblables, se laisserait mourir de faim plutôt que de sé décider sans motif pour l’une ou l’autre botte. On ne sait si cet argument est pour ou contre la liberté d’indifférence.