Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/116

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dans leurs accidents, représentés déjà parfaitement dans l’idée de ce monde possible. Ainsi ce qui est contingent et libre, ne le demeure pas moins sous les décrets de Dieu, que sous la prévi- sion.

53 Mais Dieu lui-même (dira-t-on) ne pourrait donc rien changer dans le monde ? Absolument il ne pourrait pas à présent le changer, sauf sa sagesse, puisqu’il a prévu l’existence de ce monde et de ce qu’il contient, et même puisqu’il a pris cette résolution de le faire exister : car il ne saurait ni se tromper, ni se repentir, et il ne lui appartenait pas de prendre une résolution imparfaite qui regardât une partie, et non pas le tout. Ainsi tout étant réglé d’abord, c’est cette nécessité hypothétique seulement dont tout le monde convient, qui fait qu’après la prévision de Dieu, ou après sa résolution, rien ne saurait être changé : et cependant les événements en eux- mêmes demeurent contingents. Car (mettant à part cette supposition de la futurition de la chose, et de la prévision, ou de la résolution de Dieu, supposition qui mot déjà en fait que la chose arrivera, et après laquelle il faut dire : « Unumquodque, quando est, oportet esse, aut, siquidem erit, oportet futurum esse. » l’événement n’a rien en lui qui le rende nécessaire, et qui ne laisse concevoir que toute autre chose pouvait arriver au lieu de lui. Et quant à la liaison des causes avec les effets, elle inclinait seulement l’agent libre, sans le nécessiter comme nous venons d’expliquer : ainsi elle ne fait pas même une nécessité hypothétique, sinon en y joignant quelque chose de dehors, savoir cette maxime même, que l’inclination prévalente réussit toujours.

54 On dira aussi que, si tout est réglé. Dieu ne saurait donc faire des miracles. Mais il faut savoir que les miracles qui arrivent dans le monde, étaient aussi enveloppés et représentés comme possibles dans ce même monde, considéré dans l’état de pure possibilité ; et Dieu qui les a faits depuis, a décerné dès lors de les faire, quand il a choisi ce monde. On objectera encore que les vœux et les prières, les mérités et les démérites, les bonnes et les mauvaises actions ne servent de rien, puisque rien ne se pout changer. Cette objection embarrasse le plus le vulgaire, et cependant c’est un pur sophisme. Ces prières, ces vœux, ces bonnes ou mauvaises actions qui arrivent aujourd’hui, étaient déjà devant Dieu, lorsqu’il prit la résolution de régler les choses. Celles qui arrivent dans ce monde actuel, étaient représentées dans l’idée de ce même monde encore possible, avec leurs effets et leurs suites ; elles y étaient représentées, attirant la grâce de Dieu,