Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

prœdestineris, ne doit pas être pris à la lettre, son véritable sens étant que celui qui doute, s’il est prédestiné, n’a qu’à faire ce qu’il faut pour l’être par la grâce de Dieu. Le sophisme, qui conclut de ne se mettre en peine de rien, sera peut-être utile quelquefois pour porter certaines gens à aller tête baissée au danger ; et on l’a dit particulièrement des soldats turcs : mais il semble que le Maslach y a plus de part que ce sophisme ; outre que cet esprit déterminé des Turcs s’est fort démenti de nos jours.

56 Un savant médecin de Hollande, nommé Jean de Beverwyck, a eu la curiosité d’écrire de Termino vitae et d’amasser plusieurs réponses, lettres et discours de quelques savants hommes de son temps sur ce sujet. Ce recueil est imprimé, où il est étonnant de voir combien souvent on y prend le change, et comment on a embarrassé un problème, qui, à le bien prendre, est le plus aisé du monde. Qu’on s’étonne après cela qu’il y ait un grand nombre de doutes, dont le genre humain ne puisse sortir. La vérité est qu’on aime à s’égarer, et que c’est une espèce de promenade de l’esprit, qui ne veut point s’assujettir à l’attention, à l’ordre, aux règles. Il semble que nous sommes si accoutumés au jeu et au badinage, que nous nous jouons jusques dans les occupations les plus sérieuses, et quand nous y pensons le moins.

Je crains que dans la dernière dispute entre des théologiens de la confession d’Augsbourg de termino poenitentiæ peremptorio, qui a produit tant de traités en Allemagne, il ne se soit aussi glissé quelque malentendu, mais d’une autre nature. Les termes prescrits par les lois sont appelés fatalia chez les jurisconsultes. On peut dire en quelque façon que le terme péremptoire, prescrit à l’homme pour se repentir et se corriger, est certain auprès de Dieu, auprès de qui tout est certain. Dieu sait quand un pécheur sera si endurci qu’après cela il n’y aura plus rien à faire pour lui, non pas qu’il ne soit possible qu’il fasse pénitence, ou qu’il faille que la grâce suffisante lui soit refusée après un certain terme, grâce qui ne manque jamais, mais parce qu’il y aura un temps après lequel il n’approchera plus des voies du salut. Mais nous n’avons jamais des marques certaines pour connaître ce terme, et nous n’avons jamais droit de tenir un homme absolument pour abandonné : ce serait exercer un jugement téméraire. Il vaut mieux vaut mieux être toujours en droit d’espérer, et c’est en cette occasion et en mille autres où notre ignorance est utile. Prudens futuri temporis exitum Caliginosa nocte premit Deus.